Louis Mermaz : "Lorsque les droits du Parlement sont mis en cause, ce sont aussi les libertés et les droits sociaux qui sont atteints"
Intervention de Louis Mermaz, sénateur de l’Isère, dans le débat sur le projet de loi organique relatif à l'application des articles 34 1, 39 et 44 de la Constitution.
(10 février 2009)
Le Président de la République avait donné comme objectif à la révision de la Constitution du 21 juillet dernier le rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Quelques mois plus tard à quoi assistons-nous ? A une entreprise de réduction des pouvoirs du Parlement. Pour aller à l’essentiel, nous en sommes arrivés là au détour d’une modification de l’article 44 de la Constitution, complété par le Congrès. Le texte initial de la Constitution indique que « les membres du Parlement et le gouvernement ont le droit d’amendement ». Or, la majorité du Congrès a ajouté le codicille suivant : « Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées dans le cadre déterminé par une loi organique ».
Ainsi, dès l’été le piège était en place, puisqu’il était expressément prévu que l’exercice du droit d’amendement serait encadré à l’avenir, et bien encadré, par une loi organique d’où découlerait le nouveau règlement des assemblées, le tout, est-il nécessaire de le rappeler, à la discrétion de la majorité actuelle tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
Le présent débat ne soulève pas une question de simple technique parlementaire, qui serait totalement éloignée des intérêts du pays à l’heure où les Français voient le chômage, la précarité, la pauvreté s’accroître tragiquement. La politique forme un tout : lorsque les droits du Parlement sont mis en cause, ce sont aussi les libertés et les droits sociaux qui sont atteints.
1. Le gouvernement s’attaque précisément de deux façons aux droits du parlement. Il recourt dans la présentation des projets de loi à l’urgence devenue quasiment la règle depuis le début de la législature et qui nuit à la qualité du travail législatif lequel requiert du temps et de la réflexion. Parallèlement, il déclenche, au détriment du contrôle de l’exécutif réduit pratiquement à rien, une avalanche de projets. Parmi ces projets il fait un tri : d’un côté ceux qui relèvent d’un effet d’annonce et qui une fois votés n’entreront pas en application faute de la parution des décrets, de l’autre ceux d’inspiration répressive ou rétrograde qui eux recevront leurs décrets d’application.
2. De ce point de vue-là la discussion actuelle s’inscrit dans un contexte où les libertés sont de plus en plus souvent mises à mal :
- par le durcissement constant du code pénal et du code de procédure pénale ;
- par le recours de plus en plus fréquent à toutes les formes d’enfermement : la prison (et l’extrême surpopulation carcérale), l’augmentation effrayante des gardes à vue dans les commissariats, la chasse aux sans-papiers, les hospitalisations sans consentement dans les services psychiatriques, le fichage des citoyens ;
- par les pressions de toutes sortes sur la presse ;
- par la mise au pas des responsables des administrations ;
- par la réduction des moyens dont disposent les services publics, de l’école à l’hôpital.
Alors que la situation économique et sociale empire, le Président de la République, au demeurant président de l’UMP, situation insolite, le Président tourne le dos à la réalité, s’enferme dans un monologue incantatoire, tranche de tout par-dessus les corps intermédiaires et, voulant confiner le parlement dans un rôle d’enregistrement, annonce :
- un jour la suppression de la publicité dans les chaînes publiques de télévision (il la met d’ailleurs immédiatement en œuvre par décret) et la nomination par lui (avec quelques habillages) du président de France Télévisions,
- un autre jour la suppression des juges d’instruction,
- un autre encore celle de la taxe professionnelle
- ou le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan, ce qui rompt avec une posture militaire de plusieurs décennies et aura des conséquences considérables sur l’avenir de notre diplomatie.
Je demande donc au gouvernement ce que devient en droit et en fait le prétendu rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le parlement. Je ne veux pas me livrer à des comparaisons anachroniques et superficielles. Je rappellerai seulement que Bonaparte disposait au sein d’un maquis d’institutions parlementaires d’un Corps législatif qui votait les lois sans avoir le droit d’en discuter.
Nous retrouvons, toutes proportions gardées bien sûr, une certaine similitude dans la démarche actuelle de l’exécutif. L’article 13 de la loi organique invite en effet les assemblées à se doter d’un règlement qui permettrait de limiter la durée des débats et le temps de parole des parlementaires. Ainsi, lorsque des délais auront été impartis, selon la formule du « temps global », pour l’examen d’un texte en séance, des amendements d’origine parlementaire pourront être mis aux voix sans discussion préalable.
Devant la colère légitime de l’opposition à l’Assemblée nationale la majorité a dissimulé sous quelques parures l’article incriminé, sans rien changer au fond, comme on le verra lors de la discussion des articles. Le président de la commission des lois du Sénat et le rapporteur présenteront à leur tour quelques amendements à certains articles – qu’ils maintiendront ou non au cours des débats, selon le bon vouloir du gouvernement, nous verrons. Mais de toute façon ils se sont bien gardés de toucher à l’article essentiel du projet, l’article 13, qui demeure donc paré des fioritures et des déguisements dont l’Assemblée l’a pourvu.
Le gouvernement - oh ! la bonne âme – nous explique qu’il veut améliorer le fonctionnement et l’image du Parlement. Devant un tel aplomb, on serait tenté de lui demander de quoi il se mêle.
J’en viens à la problématique de l’obstruction pour faire remarquer que ce type de manifestation n’a jamais empêché aucun gouvernement sous la Cinquième République de se doter de l’arsenal législatif qu’il souhaitait, sauf à y renoncer lui-même par la suite parce que le prolongement des débats avait traduit une inquiétude réelle dans le pays et lui avait ainsi donné le temps de comprendre qu’il risquait de se fourvoyer. On se souvient comment la loi sur le CPE (contrat première embauche) a terminé sa carrière. Tous les groupes de l’Assemblée, tous, à des époques diverses ont eu recours à de telles manœuvres de retardement, comme cela se produit dans les grandes démocraties. Cela est intervenu à certains moments, - rares en fait -, lorsque les sujets abordés avaient un écho important au moins dans une large fraction de la population, je pense :
- aux débats consacrés au projet de loi « sécurité et liberté » en 1980,
- aux nationalisations et à la décentralisation en 1981 et 1982,
- plus tard à la remise en cause de la loi Falloux,
- ensuite au PACS,
- récemment à l’avenir des retraites,
- aux OGM,
- à l’audiovisuel public,
- enfin à la présente loi organique qui aurait été votée dans l’indifférence, sans les réactions de l’opposition à l’Assemblée nationale.
En conclusion vous observerez, mes chers collègues, que jamais la gauche, lorsqu’elle a été majoritaire à l’Assemblée nationale, n’a porté atteinte au droit d’amendement, d’autant plus important qu’il offre aux parlementaires de tous les groupes -s’ils veulent bien en user-, la possibilité de peser sur la confection des lois dont la presque totalité sont issues des projets déposés par le gouvernement.
Je me souviens que de 1981 à 1986 l’opposition à l’Assemblée nationale s’est manifestée avec vigueur, voire acharnement. Nous avons eu de rudes batailles parlementaires. La faiblesse pour nous eût consisté à vouloir brider cette opposition en tentant de modifier le règlement. Même si par impossible, nous avions entrevu la possibilité d’obtenir l’indispensable consensus de tous les groupes, nous y aurions regardé à deux fois.
Le Sénat serait bienvenu aujourd’hui, - mais le voudra-t-il ?...- de prendre en compte les droits et les prérogatives du Parlement dans son ensemble. La question n’est pas de savoir si au Luxembourg, dans une atmosphère feutrée, à l’abri des grands emportements, l’on pourra continuer de s’exprimer à satiété, comme par le passé. La défense des droits du Parlement, des droits des députés et des sénateurs, doit être l’affaire de tous, car il s’agit aussi de la préservation des libertés dans le pays. Sans recourir à des formules emphatiques, sans invoquer la postérité, sans me faire trop d’illusions non plus sur l’issue de nos travaux, j’invite cependant notre assemblée qui aime à revendiquer sa sagesse et sa mesure, à ne pas consentir à l’abaissement du Parlement. Ne soyez pas, mes chers collègues, ceux qui se seront inclinés, même si nous savons qu’un jour d’autres majorités rendront justice au Parlement.