Mesure de la diversité : les étranges projets de Yazid Sabeg
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Dans son discours à l'Ecole polytechnique, le 17 décembre, le président de la République, compte tenu des conclusions de la commission Veil, a clairement indiqué « fermer la porte » aux statistiques ethniques et religieuses. De son côté, le commissaire à la Diversité, Yazid Sabeg, s'efforce d'imposer des techniques de mesure de la diversité et des discriminations qui sont inefficaces, inutiles, baroques et dangereuses. Plus surprenant, il écarte également les moyens de mesure recommandés par la mission Veil, qui sont scientifiquement pertinents et font consensus auprès des chercheurs comme des principales associations qui luttent contre le racisme et l'antisémitisme en France : pays de naissance et nationalité des individus et de leurs parents, patronymes et prénoms si besoin. Est donc rejetée la mesure objective des simples origines géographiques ou nationales pour des raisons qu'il faut tenter éclaircir.
Le débat actuel ne porte pas sur la nécessité de mesurer la diversité et les discriminations en raison des origines, tout le monde est d'accord, mais bien sur ce qui doit être mesuré et sur la manière de le faire. Le commissaire à la Diversité comme les associations les plus ouvertement communautaristes entendent mesurer l'appartenance réelle, supposée, ou ressentie par les individus à une « minorité visible » ou « ethnique ». Mais que sont exactement les « minorités visibles » et comment le commissaire souhaite-t-il les mesurer ? La définition en est bien délicate. Par exemple, dans le recensement des Etats-Unis, les personnes du Maghreb sont tenues pour blanches et n'ont pas été concernées par la discrimination positive. Quant à « l'ethnie hispanique », elle y a été ajoutée récemment à côté des traditionnelles « races » (Noir, Blanc, etc.). En 2006, Yazid Sabeg donnait une vision assez élargie des « minorités visibles » en envoyant un questionnaire à diverses entreprises qui définissait les « minorités visibles » ainsi : « minorités ethniques », « handicapés », « jeunes » « seniors », « femmes dirigeantes », « minorités sexuelles ». On se demande, entre autres, en quoi les orientations sexuelles ou le handicap sont visibles. Dans cette enquête, il était demandé aux entreprises d'évaluer la proportion de « minorités visibles » dans leur effectif. On se demande comment les producteurs des données statistiques (ici les entreprises) pouvaient évaluer la diversité en question et quelle était la validité prédictive attendue de cette méthode que nous appellerons, faute de mieux, le ressenti de la diversité.
A de nombreuses reprises, récemment encore, une autre méthode a eu les faveurs du commissaire à la Diversité pour dresser des statistiques : l'examen des photos. Cette méthode, iconoclaste aux yeux de la communauté scientifique internationale, a été proposée (pour les patrons) et mise en oeuvre (pour les parlementaires). Puisque le commissaire veut mesurer les « minorités visibles », c'est donc qu'une image doit pouvoir être utilisée ! Malheureusement, d'un point de vue purement technique, le risque d'erreur de jugement est évidemment élevé. Surtout, et c'est le plus inquiétant, qui imagine encore pouvoir définir les formes de visage et les couleurs de peau qui permettraient de classer des individus en groupes clairement reconnaissables et distincts ? Même les quelques rares biologistes encore convaincus de l'existence des « races » se sont détournés des phénotypes pour tenter de définir des races, leur préférant les ADN. Certes, l'apparence physique (taille, poids, couleur de peau, agrément des visages...) déclenche des discriminations et une inégalité des chances à l'école, pour l'accès au logement ou encore au travail. Mais il est bien hasardeux de dégager des phénotypes clairs sur lesquels fonder un référentiel des « minorités visibles » ou « ethnique ».
L'autre technique, qui a désormais les faveurs du commissaire, est le ressenti d'appartenance à un groupe. Le ressenti d'appartenance sera-t-il libre ou définira-t-on les groupes possibles ? On imagine bien qu'une définition devra être donnée aux individus des fameux groupes ou communautés auxquelles les personnes se sentent appartenir. La question portera-t-elle sur l'appartenance ressentie à une « minorité visible », religieuse, régionale, nationale ? Les personnes en situation de handicap, en surcharge pondérale ou naines peuvent-elles former des groupes ? Autre difficulté, les imprécisions de cette méthode déclarative. Le président de la République et le Conseil constitutionnel ont insisté sur la nécessité de données « objectives » et non subjectives. Or le ressenti des personnes ne correspond qu'en partie à la réalité. Ce type d'enquêtes déclaratives entraîne des réponses erronées, changeantes et des refus de répondre (a fortiori lorsque la réponse est facultative).
Cette technique, voulue à toute force par le commissaire comme par le CRAN, a un autre inconvénient majeur, qui est en fait le véritable objectif de cette technique. On amène les individus à se poser la question de la communauté qui serait la leur, on suscite la revendication d'appartenance à un groupe distinct. S'il s'agissait simplement de mesurer diversité et discriminations, les outils existent et il suffit, au besoin par échantillonnage, de déterminer des origines géographiques. Mais, évidemment, les lieux de naissance, les nationalités ou la méthode patronymique ont un inconvénient rédhibitoire : les communautés ethniques ne peuvent se compter et ne peuvent se renforcer.
Puisque ceux qui mesurent les discriminations et qui agissent au quotidien contre elles depuis de nombreuses années affirment disposer des moyens de mesure adéquats, puisqu'ils les mettent en oeuvre d'ores et déjà de manière consensuelle, pourquoi cherche-t-on à toute force à imposer ces étranges instruments de mesure des minorités visibles ? Faut-il vraiment rompre un consensus sur la mesure des discriminations liées aux origines et stimuler le communautarisme sous le prétexte fallacieux de la lutte contre les inégalités et les discriminations ?