Comment la France escamote 120 milliards d'euros de sa dette - par Jean de Maillard

Publié le par Désirs d'Avenir Castelnau-de-Médoc

Le ministère de l'Economie et des Finances, dans le quartier de Bercy, à Paris (Amerune/Flickr)

Vous avez aimé l'histoire de la dette grecque ? Vous adorerez celle du trou de la Sécurité sociale. Sur les 150 milliards d'euros qu'il représente selon la Cour des comptes (on ne dispose pas de chiffres précis), 93 milliards se sont évaporés des comptes de la dette publique.

La dette publique de la France étant de 1 500 milliards d'euros à la fin de 2009, ce déficit non comptabilisé correspond donc à une « omission » de plus de 6%.

Ce n'est pas tout : le déficit de la Sécurité sociale en 2009, soit 26,5 milliards d'euros, a fait l'objet d'un autre tour de passe-passe qui a plombé les comptes de l'Acoss, la caisse centrale des Urssaf, autrement dit leur « banquier ».

L'enjeu est là aussi de taille puisque, pour un déficit public de l'Etat qui avoue 141 milliards d'euros en 2009, ces 26,5 milliards feraient bondir la facture de près de 19%.

Au total, 119,5 milliards d'euros auront donc été habilement maquillés pour ne pas affoler les populations laborieuses.

1La Cades, boîte noire de la dette publique

C'est Alain Juppé qui a fourni la solution en 1996, date à laquelle il a créé la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Elle était chargée d'éteindre la dette de la Sécurité sociale, qui s'élevait alors à 21 milliards d'euros. Dans un grand élan d'optimisme, on promettait que l'affaire serait réglée en 2009.

Hélas, on n'a cessé de lui redonner des dettes à recycler : 134,5 milliards depuis 1996, dont 27 milliards l'année dernière. Là dessus, elle en a remboursés 41,5 milliards. Restent les 93 milliards, qui seraient bien embarrassants s'ils apparaissaient dans les comptes publics.

L'escamotage de la dette sociale des comptes publics n'a rien à envier, question méthode, avec celle qu'emploient les banques pour cacher leurs avoirs toxiques. Comme elles, l'Etat utilise la technique du « hors-bilan » qui consiste à enregistrer ailleurs (quand on l'enregistre) ce qu'on ne veut pas voir figurer dans la comptabilité.

Le trou de la Sécu fait au moins le bonheur des banquiers

Le tour de passe-passe n'est pas très compliqué, même s'il finit par coûter très cher, comme on va le voir.

Organisme public sur lequel l'Etat a entièrement la main mais auquel il a donné une autonomie juridique, la Cades est dénoncée par la Cour des comptes, en vain jusqu'à présent, comme une entité non contrôlée, c'est-à-dire dont la comptabilité n'est pas intégrée dans les comptes publics. Contactée par Rue89, elle explique que « le ministère s'était engagé à traiter la question en vue de la prochaine certification, fin mai 2010 ».

C'est comme cela que son déficit n'apparaît pas dans la dette officielle. C'était simple, il suffisait d'y penser.

Surtout que le passif de la Cades ne va pas régresser. Il a été multiplié à peu près par cinq depuis 1996 et il ne cessera de croître au fil du temps puisqu'on prévoit que le trou de la Sécu s'élèvera à 233 milliards en 2013, comme le prévoit le projet de loi de finance pour 2010).

Pour avoir un ordre de comparaison, les recettes fiscales de l'Etat pour 2010 sont estimées à 252 milliards d'euros. Pour payer tout cela, on a inventé la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), dont le produit est attribué à la Cades.

La moitié de la CRDS récoltée sert à payer non la dette, mais ses intérêts

Celle-ci a été autorisée par ailleurs à émettre des emprunts sur les marchés financiers pour transformer la dette à court terme qu'elle recevait en dette à long terme. En 2009, on lui a mis également sur le dos le déficit de l'assurance vieillesse et en contrepartie on lui a rétrocédé une partie de la Contribution sociale généralisée (CSG) pour boucler ses fins de mois.

Ce qui est une façon de parler, car le trou ne cesse de s'agrandir et n'est pas près de se refermer. La CRDS a rapporté 6 milliards d'euros à la Cades sur l'exercice 2008, mais ses frais financiers (les charges de ses emprunts) lui en ont coûté 3 milliards.

Cela signifie que la moitié de la CRDS payée chaque année par les contribuables sert à rembourser non le déficit de la Sécu, mais les intérêts des prêts que les banquiers et les financiers ont consenti à la Cades pour qu'elle tienne les dettes de la sécurité sociale éloignées de celles de l'Etat.

La seule consolation de l'affaire est que la baisse des taux d'intérêts en 2009 a permis d'empêcher provisoirement que l'endettement final de la Cades ne s'envole au-delà de 93 milliards d'euros.

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La dette de l'Acoss, nouvelle martingale de l'Etat dépensier

Mais tout cela ne suffit déjà plus : il a fallu en effet trouver une solution pour les 26,5 milliards d'euros de déficit qui se sont ajoutés en 2009. Le gouvernement n'a pas voulu transférer une fois de plus cette dette à la Cades : il aurait eu l'obligation légale d'augmenter la CRDS pour la financer intégralement.

Les estimations du sénateur UMP Alain Vasselle dans son rapport indiquent que, pour faire face, la CRDS aurait alors dû doubler d'ici 2012. Ce qui aurait fait désordre, alors que la campagne présidentielle se profile.

Il fallait donc trouver le moyen de financer la dette sans que cela n'apparaisse, ni dans les charges de l'Etat, ni dans les comptes de la Cades.

La faillite est à nos portes, mais pas avant 2012

La dernière loi de financement de la sécurité sociale a trouvé la martingale : elle a autorisé l'Acoss à émettre à son tour des billets de trésorerie pour un montant de 65 milliards d'euros, un niveau historique jamais atteint, alors qu'elle était déjà en rouge à la fin de 2009 d'environ 26 milliards d'euros.

Cela ne lui fera jamais que 91 milliards de déficit, qui s'ajoutent aux 93 milliards de la Cades.

Il faudra bien payer un jour toutes ces dettes, avec en plus les intérêts dus aux banquiers, mais cela attendra, sans doute après les élections présidentielles. La faillite est à nos portes, mais rassurez-vous : vous ne le verrez pas avant 2012, du moins si tout continue d'aller bien jusque-là !

Photo : le ministère de l'Economie et des Finances, dans le quartier de Bercy, à Paris (Amerune/Flickr)

Vu sur: Rue89

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