Comment Ségolène va réussir à piéger Bayrou
Sud-Ouest Gironde - Ce ne serait plus qu'une question d'heures. Au pire, de jours et de nuits de tendres négociations, assure-t-on sous le couvert d'un anonymat de moins en moins contraint. Trois semaines après avoir refusé l'embarrassante proposition d'alliance formulée par Ségolène Royal, François Bayrou risque ainsi d'être bientôt pris à son propre piège.
« Ce qu'elle fait, c'est souvent rigolo », avait alors balayé le président du Modem, pourtant fervent promoteur d'un « arc central » anti-Sarkozy. Pas sûr, en revanche, que celui-ci s'esclaffe lorsqu'il apprendra la sécession d'une partie de ses troupes dans la médiatique province de Poitou-Charentes, là où une tête de liste a pourtant déjà été officiellement investie.
« Le ton est vite monté »
Car plutôt que de continuer de traiter avec le bon Dieu centriste, Ségolène Royal a depuis préféré s'en remettre à ses saints. En l'occurrence, Alexis Blanc, président de la solide fédération de Charente-Maritime qui, par l'odeur d'un strapontin à Poitiers alléché, tient aujourd'hui ce langage : « Cinq places éligibles, c'est très honnête, et d'ailleurs plus que ce qu'une liste autonome du Modem pourrait espérer. Cela signifie aussi que nous pourrions former un groupe, et donc disposer d'une permanence et d'un secrétariat. Alors, oui, nous discutons avec d'autant moins de scrupules que Bayrou lui-même fait guili-guili avec le Parti socialiste depuis l'été dernier. Je suis allé le voir à Paris pour lui rappeler que le Modem était un parti décentralisé. Hélas, le ton est vite monté. »
Mais si Alexis Blanc n'a pas encore d'auréole au-dessus de sa jeune tête de trentenaire élu dans l'île d'Oléron, François Bayrou n'hésite plus désormais à le désigner comme le traître Judas. Joint ce week-end au téléphone, l'ex et futur candidat à la présidentielle évoque simplement un problème d'ego.
« Certains ont été vexés de ne pas être choisis, comme Alexis Blanc qui n'habite même pas la région Poitou-Charentes, et qui est donc, selon moi, complètement extérieur au jeu. Il peut y avoir individuellement des gens déçus, mais cette rumeur d'alliance avec Ségolène Royal est aussi fausse que malintentionnée. Avant et après son offre, le parti a pris une délibération nationale sur le sujet. Il n'y aura aucun candidat Modem sur sa liste, c'est d'une clarté biblique. »
Méthode Coué ou bien ultime intimidation du commandeur béarnais dont la statue commence à vaciller en interne, ses propos ont de toute façon été contredits hier par l'entourage immédiat de la présidente de Poitou-Charentes. « Oui, nous négocions avec des élus du Modem, et nous aboutirons probablement. Ce ne sont pas les volontaires qui manquent. » Quitte, au passage, à faire tinter le tiroir-caisse devant de potentiels dissidents inquiets de ne pas savoir si les frais de campagne leur seront remboursés en cas de performance inférieure aux fatidiques 5 %.
« Bayrou ne veut pas répondre formellement, explique Alexis Blanc. Il dit que ça nous fait une motivation supplémentaire pour nous battre. Mais ça nous fait d'abord une motivation supplémentaire pour douter, surtout que Paris est toujours incapable de lancer cette campagne. »
Un risque de contagion
Au-delà d'une initiative pour l'heure circonscrite au Poitou-Charentes, c'est bien le dessous des cartes électorales élyséennes qui est sans doute ici en train de se jouer. Depuis longtemps espérée ou redoutée, c'est selon, l'alliance entre Ségolène Royal et les centristes pourrait ainsi être l'épicentre d'un miniséisme politique dont l'onde de choc résonne déjà, paraît-il, positivement du côté des Régions Paca et Rhône-Alpes des socialistes Vauzelle et Queyranne.
À l'inverse, certains n'y voient pourtant rien d'autre que le petit plaisir personnel de Ségolène Royal, épiphénomène hasardeux et seulement capable de la couper définitivement de l'aile gauche du PS. « Ne vous inquiétez pas, le risque est calculé et assumé », minimisait hier soir l'un de ses proches, parfaitement convaincu que les plus rouges des militants roses ne seraient d'ailleurs jamais revenus. « Pour l'aspect social de la campagne, nous préférons miser sur des dossiers comme Heuliez ou New Fabris. »
Et l'avenir dira enfin si la petite entreprise d'Alexis Blanc - intimement persuadé que Royal et Bayrou s'apprêtaient à s'entendre à la veille du congrès d'Arras - n'était que narcissisme suicidaire ou bien, au contraire, l'audace contagieuse d'un pionnier. Que l'on envisage déjà récompensée d'une vice-présidence à Poitiers.
s.cottin@sudouest.com