Corbeil : l'élection de l'homme de paille de Dassault annulée
C'est fait : le Conseil d'Etat a annulé ce mercredi l'élection municipale de Corbeil-Essonnes, remportée en octobre 2009 par l'UMP Jean-Pierre Bechter, bras droit de l'ancien maire Serge Dassault alors lui-même inéligible. Retour sur cette élection qui avait toutes les chances, dès le départ, d'être annulée.
(De nos archives) La compte à rebours a commencé depuis dimanche soir et la proclamation des résultats du second tour de la municipale de Corbeil-Essonnes : le candidat UMP Jean-Pierre Bechter (5190 voix) l'a emporté face à son adversaire communiste Michel Nouaille (5 163 voix). Ce dernier a jusqu'à vendredi, 17 heures, pour former un recours devant le tribunal administratif.
Cette élection partielle fait suite à l'annulation du scrutin de mars 2008, qui avait vu le sénateur-maire UMP Serge Dassault être élu pour la troisième fois consécutive. Le Conseil d'Etat a décidé de son invalidité un an plus tard et a condamné l'industriel milliardaire à un an d'inéligibilité, en raison de « l'existence de pratiques de dons en argent d'une ampleur significative à destination des habitants de la commune (…) ayant pu affecter la libre détermination des électeurs ».
Dès lundi, Michel Nouialle a lancé sur blog un appel aux « témoignages » pour faire de nouveau « éclater la vérité sur le système Dassault », numéro de téléphone et adresse e-mails à l'appui. Contacté par Rue89, il confirme qu'il « ne veut pas en rester là » :
« De nombreux faits nous remontent depuis dimanche. On verra s'ils sont répréhensibles. Corbeil-Essonnes ne doit plus échapper aux lois de la République et de la démocratie.
La journée de dimanche s'est déroulée comme en mars 2008. La participation dans trois ou quatre bureaux de vote est montée en flèche en fin de journée. Des gens arrivaient par voitures entières. Ils savent que les voix coûtent plus cher à acheter entre 18 heures et 20 heures… »
Nul doute que le tribunal administratif statuera dans le même sens que le Conseil d'Etat si des dons en argent suspects sont de nouveau avérés. De toute façon, « avec un si faible écart de voix, il y a généralement un recours, ne serait-ce que sur le déroulement des élections, l'annulation de bulletins, ou les inscriptions sur les listes électorales », note Maître Arnaud Lyon-Caen.
Mais surtout, à côté d'éventuels erreurs techniques ou achats de voix, l'avocat qui avait fait chuter Serge Dassault en juin dernier explique à Rue89 que le candidat communiste pourrait d'ores et déjà se prévaloir de deux autres fondements pour contester l'élection de son adversaire UMP :
« Il peut y avoir altération de la sincérité du scrutin et méconnaissance de l'autorité de la chose jugée qui a déclaré monsieur Dassault inéligible. »
Car Jean-Pierre Bechter, ancien élu de Corrèze et de Paris et directeur délégué du Groupe Dassault, ne cache pas qu'il est le faux nez de l'industriel. Le premier ne doit sa candidature qu'à l'impossibilité de se présenter du second, qui a donc installé un « ami fidèle » à sa place. « Voter Bechter, c'est voter Dassault » avait même été érigé en slogan officiel de campagne.
Ce qui peut apparaître comme un simple argument de campagne peut aussi revêtir un caractère illégal, dès lors qu'il est encore martelé une fois l'élection passée. Et les deux hommes n'ont cessé de le faire. Il n'hésitent pas à présenter Serge Dassault comme le maire de fait, alors qu'il est inéligible et que seul Jean-Pierre Bechter a été véritablement élu.
Dès le soir de l'élection, le candidat UMP ne disait pas autre chose face à la caméra d'Anne Rohou du Monde.fr :
« Pour la quatrième fois consécutive, M. Dassault est élu maire de Corbeil-Essonnes. C'est moi qui suis élu, mais quand même c'est lui qui bat le Parti communiste quoi, avec moi, voilà.
- Qui occupera le bureau du maire ?
- Lui. Il occupera son bureau. Ne vous inquiétez de rien. De toute façon, vous savez bien que ça va encore se terminer au Conseil d'Etat. » (Voir la vidéo)
Quant à Serge Dassault, qui sera officiellement directeur de cabinet, il ne se prive pas non plus pour écumer les plateaux télé et radio et distiller le même message. Encore ce mardi matin, le milliardaire a déclaré sur France Info : « J'ai gagné. » La veille, au micro d'Europe 1, à la question de savoir qui serait « le vrai maire », il répondait :
« On le sera tous les deux, on travaillera ensemble. En quoi cela vous gêne ? » (Voir la vidéo)
Déjà échaudés par les déclarations de Serge Dassault à leur encontre au lendemain de l'annulation de la précédente élection (« c'est un complot communiste », « ils sont tous socialistes »), les juges administratifs pourraient d'autant plus recevoir l'argument de l'altération de la sincérité du scrutin qu'une récente décision « vient d'ouvrir une porte intéressante », décrypte Delphine Jaffar, avocate spécialisée en droit public.
Le Conseil d'Etat a également annulé en juin l'élection municipale de mars 2008 à Aix-en-Provence, remportée par la candidate UMP Maryse Joissains, considérant que « des propos et des insinuations d'une gravité inadmissible » durant la campagne ont « pu fausser les résultats ». Une décision dont pourrait également se prévaloir Michel Nouaille, selon Delphine Jaffar :
« Ce n'est pas le dénigrement en tant que tel qui était condamné puisque l'on n'était pas au pénal. Le Conseil d'Etat a jugé en droit que l'on pouvait utiliser les seules déclarations pour considérer que ça pouvait avoir altéré la sincérité du scrutin. »
► Article initialement publié le 06/10/2009