Heuliez : Ségolène Royal 1 – Christian Estrosi 0 : un partenariat franco-allemand se met en place - par DA Paris
Les nouveaux repreneurs apportent 13,1 millions d'euros et s'engagent à reprendre 80 salariés sur les 120 licenciés
Heuliez est sauvée.
« Enfin, après deux ans de promesses non tenues, l’argent était là. » constatait Me de Mauléon, conseil des repreneurs allemands ConEnergy, Procar et Kohl.
Ségolène Royal, qui a défendu bec et ongles la société dans ces périodes difficiles - la Région Poitou-Charentes étant devenue seule actionnaire d’Heuliez début 2010 suite à la défaillance de ses partenaires - était présente hier au tribunal de commerce de Niort à 11 heures, où elle s’entretenait avec les responsables syndicaux d’Heuliez.
Ségolène Royal signe le nouveau pacte d'actionnaires le 30 juin 2010 à Cerizay avec ConEnergy (au centre) et BGI (à droite)
Quelques heures plus tard, elle signait à Cerizay le nouveau pacte d’actionnaires avec le français Baelen Gaillard Industrie (BGI) pour la reprise de l’activité emboutissage, que BGI détiendra à 100%, et les allemands ConEnergy, Procar et Kohl pour la reprise d’Heuliez Véhicule électrique (HVE) : la Région détiendra 31,2% du capital et ses partenaires 68,8%. La Région Poitou-Charentes reste donc un actionnaire important de la voiture électrique produite par la société. ConEnergy, Procar et Kohl ont déposée une somme de 10 M€, placée sous séquestre, en vue d’une augmentation de capital de HVE. 10 M€, ça ne vous rappelle rien ? De fait, le FSI ne participera pas à la reprise de HVE.
« Le Dr Kohl et ses associés ont les moyens de soutenir leur projet aux côtés de la région […] Il fallait aussi simplifier autant que possible la structure du projet de reprise. »
Ségolène Royal, donc, était dans l’action, sur le terrain, hier.
Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, lui, était à Paris. À 8h20, il était interviewé par Jean-Pierre Elkabach sur Europe 1, qui attaquait fort :
« Christian Estrosi, bonjour, merci d’être là. Payez-vous votre logement de fonction ? » pour poser sa deuxième question 30 secondes plus tard : « Est-ce que les jets privés c’est bien fini et comment vous faites Paris-Nice ? »
Christian Estrosi sur Europe 1 mardi 30 juin 2010 à 8h20
Nullement démonté, M. Estrosi écartait ces questions d’un revers de main, il préférait concentrer ses propos sur le discours de la veille de Ségolène Royal et sa phrase : « Le système Sarkozy est corrompu » :
« C’est une attitude qui est inqualifiable » martelait-il, rappelant les affaires de l’ère Mitterrand, époque où Ségolène Royal travaillait à l’Elysée, et osant sans sourciller renvoyer dos-à-dos la femme politique d’alors et Eric Woerth aujourd’hui, sans nommer ce dernier.
Puis il abordait le dossier Heuliez, mais s’étant complu dans la critique, il débita ses dernières phrases au pas de charge, alors que le jingle de l’émission commençait à retentir :
« J’annonce à cette occasion que sur Heuliez l’Etat apportera 10 M€ ; je serais curieux d’ailleurs, parce que Madame Royal est une truqueuse et une menteuse et qu’elle l’a démontré sur ce dossier, combien elle fera d’effort par rapport à ce que fera l’Etat.
[10 M€], nous les donnerons. Ce sera de l'argent de mon ministère, à la fois sur des primes vertes pour baisser la facture énergétique, c'est aussi une prime à l'aménagement du territoire et sans doute une participation du FSI [Fonds stratégique d'investissement, NdlR]. On sera sans doute même à plus de 10 millions d'euros ».
Or qu’en est-il de ces annonces fanfaronnes faites au pas de course en fin d’interview ?
Les « primes vertes pour faire baisser la facture énergétique » ne nous éclairent pas beaucoup : certains journalistes ont été curieux, et ont posé la question (M6 & MSN) :
« Les primes vertes, ce sont les aides dans le cadre des aides au développement du véhicule électrique » , a-t-on précisé au ministère.
Ce qui n’est pas vraiment limpide. Il semble donc qu’il puisse s’agir des primes à la casse, qui auront disparu en 2011 lors de la commercialisation de la Mia de HVE.
Il semble qu’il puisse aussi s’agir des bonus écologiques de 5 000 € accordés notamment aux véhicules électriques (pas d’émissions) ; cependant ces bonus arrivent pour le moment à échéance en 2012, un an après la mise en circulation de la Mia. Par ailleurs, les bonus écologiques ne coûtent, en théorie, rien à l’Etat, les malus étant supposés les financer. Certes, une certain succès des petits véhicules faiblement polluants a amené l’Etat à devoir verser jusqu’à 200 M€ par an. Mais le bonus écologique et la prime à la casse sont versés aux clients, pas aux industriels : encore faut-il pouvoir produire ! VHE estime le projet Mia achevé à 40% et les coûts restants à 18 M€.
La « prime à l’aménagement du territoire » (PAT) de la DATAR : là encore, la déception est au rendez-vous. Le budget annuel national de la PAT est de 40 M€ par an environ : en 2009, 34 M€ de PAT ont été accordés pour 51 projets, soit une moyenne de 670 000 € par projet, très loin des millions de M. Estrosi.
Enfin, « sans doute une participation du FSI » : on appréciera la valeur des deux premiers mots au regard des promesses passées non tenues. Mais, au-delà, le pacte d’actionnaires semble ne pas laisser de place pour le FSI : les Allemands « ont les moyens » et n’estiment pas avoir besoin du FSI ; BGI veut détenir 100% du capital de l’emboutissage d’Heuliez, investissant 2 M€ en fonds propres et 1,1 M€ en compte-courant ; le ministre de l’Industrie ayant promis à BGI un soutien de l’Etat de l’ordre de « 2 à 3 M€ ».
Résumons : alors que Christian Estrosi fanfaronne en annonçant « plus de 10 M€ »d’argent frais et accuse Ségolène Royal d’être une « menteuse » et une « truqueuse », il ne débloquera en réalité probablement pas plus de 2, 3 ou 4 M€ aux sociétés de l’ancien groupe Heuliez, s’il tient ses promesses, contrairement à ce qu’il a fait dans le passé. Dans le même temps, la Région Poitou-Charentes et sa présidente ont été les seuls à aider Heuliez à survivre ces 6 derniers mois (prise de participation de 5 M€), après la défection des autres actionnaires. Et la région détiendra 31,2% de VHE. Qui est dans l’action, qui est dans le mensonge ?
La Mia d'Heuliez Véhicule Electrique au salon automobile international de Genève en mars 2010
Ce matin sur BFM TV, Ségolène Royal rappelait que la région accordait une prime de 6 000 € pour l’achat de la Simplicity, un petit véhicule utilitaire, réduisant le prix à 5 000 € ; et de 4 000 € pour le Pélican, petit scooter électrique, dont le prix est ramené à 3 500 €. Elle déclarait :
« [La Mia] est la première voiture électrique qui sera mise sur le marché en juillet prochain [2011, NdlR]. […]
C’est facile de venir voler au secours de la victoire. Ces 10 M€ […] s’ils viennent tant mieux, mais je n’y crois plus guère. »
Elle ajoutait, après que Jean-Jacques Bourdin lui ait rappelé les propos du ministre de l’Industrie la qualifiant de « menteuse » et de « truqueuse » :
« Il ferait mieux de se calmer, Christian Estrosi, parce qu’il a été pris aussi la main dans le pot de confiture, avec ses deux appartements de fonction ; il ferait mieux de se taire et de se mettre au travail. »
Du côté du projet de reprise, l’offre paraît solide. BGI est un spécialiste de la machine-outil, dont les dirigeants ont été formés à l’école allemande, celle des PME performantes de ce secteur. L’entreprise réalise un chiffre d’affaires de 125 M€ et emploie 1 000 salariés, et a racheté une entreprise de carrosserie performante en 2007, Buisard, qui s’est spécialisée dans les cabines pour engins agricoles et de chantier. Les synergies avec le pôle emboutissage d’Heuliez devraient être importantes, et BGI est intéressé par les clients d’Heuliez dans le ferroviaire (Alstom) et l’aéronautique (Eurocopter). BGI réalisera la carrosserie de la Mia.
ConEnergy, vedette des énergies propres et du solaire à la bourse de Francfort, même si sa capitalisation boursière a fondu avec la crise, s’est spécialisée dans les services liés à l’énergie. Elle dispose en la matière d’une réputation incontestable. Elle s’est alliée avec la famille Kohl, active dans la distribution pharmaceutique, et le distributeur automobile allemand Procar au sein de Mia Electric GmbH, futur détenteur des 68,8% allemands de HVE. Déjà en mars 2010, au salon automobile international de Genève, où Heuliez et la Mia étaient présents, ConEnergy projetait une alliance avec le distributeur de pneus et de services automobiles Top Service Team et ses 380 succursales en Allemagne et en Autriche pour distribuer la Mia.
Les rôles devraient donc être : à BGI la carosserie de la Mia ; aux Allemands la vente, la distribution et la coordination ; à HVE le développement technologique de la voiture électrique (batterie, …). Il est probable que la Mia ne porte que son nom, la marque Heuliez appartenant désormais à BGI.
Côté emploi, Ségolène Royal est optimiste : 485 emplois sont sauvés sur 600, et elle estime que les personnes licenciées devraient toutes être réembauchées dans les prochains mois ; les repreneurs s’étant déjà engagés à reprendre dans les 15 prochains mois, une fois la Mia mise en production, 80 salariés.
Un des rares nuages qui assombrissait un peu la croissance verte chère à la présidente de Désirs d’avenir vient de disparaître. Le ciel est bleu. C’est l’été en Poitou-Charentes, et la Mia va devoir mettre les bouchées doubles pour rattraper le retard de ces derniers mois et tenir les délais qu’elle s’est fixée : juillet 2011. Le ciel sera bleu aussi, ce sera encore l’été, et les candidates et candidats aux primaires de gauche seront connus…
Sources : Les détails du plan de reprise d’Heuliez, LesEchos.fr, 30 juin 2010 ; Heuliez repris par un trio franco-allemand, LeMonde.fr, 30 juin 2010 ; www.baelengaillardindustries.fr ; www.conenergy.com ; news.fr.msn.com/m6-actualite/ ; www.datar.gouv.fr ; interview de Ségolène Royal sur BFM TV, mardi 1er juillet 2010
Frédérick Moulin