Le camp Sarkozy piétine un à un tous les contre-pouvoirs Par Julien Martin
Juges, Europe, Parlement, presse… Pour tenir, le Président et son entourage s'en prennent à tous ceux qui les gênent.
Les uns après les autres, les contre-pouvoirs - judiciaires, européens, parlementaires, syndicaux, médiatiques - se dressent contre la politique de Nicolas Sarkozy. Mais sa réponse est à chaque fois la même : plutôt que de se mettre à l'écoute, de tenter de redresser la barre, le Président choisit le passage en force et le dénigrement, aidé en cela par son carré de fidèles. Objectif : colmater les brèches pour ne pas prendre l'eau avant 2012.
Contre les juges
Dernière trouvaille en date du président de la République : mettre les juges sous tutelle du peuple. Depuis la semaine dernière, Nicolas Sarkozy veut installer des jurés populaires auprès des juges dans les tribunaux correctionnels.
Avocat de profession, il a toujours exprimé sa méfiance envers les magistrats. En témoigne aussi sa volonté de supprimer les juges d'instruction. Il peut compter sur son « ami de trente ans » Brice Hortefeux pour le soutenir dans son entreprise.
Le ministre de l'Intérieur vient encore de s'en prendre aux magistrats dans une interview très offensive à paraître samedi dans Le Figaro magazine. Selon lui, il y a un « décalage entre la souffrance des victimes et la réponse pénale apportée par une minorité de magistrats ».
Contre la Commission européenne
« Trop, c'est trop ! » La Commission européenne a annoncé mardi son intention de déclencher une procédure d'infraction en justice contre la France, pour protester contre les expulsions de Roms, qui seraient contraires au droit européen.
« Ça suffit ! », a poursuivi en conférence de presse Viviane Reding, la commissaire européenne à la Justice et aux Droits des citoyens, qui estime que l'attitude de la France « est une honte ».
La contre-attaque de Nicolas Sarkozy ne s'est pas fait attendre. Le lendemain, lors d'un déjeuner avec les sénateurs UMP, le Président a raillé la commissaire luxembourgeoise en disant qu'il serait « très heureux si le Luxembourg pouvait aussi accueillir quelques Roms ». Vendredi, il est allé jusqu'au clash à Bruxelles avec le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.
Contre le Parlement européen
« Le Parlement européen se déclare vivement préoccupé par les mesures prises par les autorités françaises […] à l'encontre des Roms. » Une semaine plus tôt, c'est la résolution votée par le Parlement européen qui a mis le gouvernement hors de lui. Eric Besson, ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale s'en est pris à l'institution :
« Le Parlement européen est sorti de ses prérogatives et nous n'avons bien évidemment pas à nous soumettre à un diktat politique. »
Et si les eurodéputés n'ont pas bien compris, le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes en a remis une couche. Selon Pierre Lellouche, le Parlement européen « est en train de se décrédibiliser » et « est dans l'instrumentalisation politique ».
Contre le Parlement français
Que les Européens se rassurent : le gouvernement ne ménage pas non plus les parlementaires français ! En témoigne encore ce mot doux glissé mercredi par le ministre du Travail Eric Woerth à la députée socialiste Catherine Coutelle, lors du houleux débat sur la réforme des retraites : « Collabo ! »
Mais plus significatif encore est la façon dont s'est déroulé tout le débat à l'Assemblée nationale : au pas de charge. Le président de l'Assemblée nationale, l'UMP Bernard Accoyer, a même écourté les échanges pour aboutir plus vite au vote, forcément positif ; les députés de la majorité ayant « pris l'habitude de l'obéissance », dixit un élu… UMP !
La réforme des institutions, adoptée en 2008 et censée redonner du pouvoir au Parlement, a fait long feu. Les députés de la majorité sont loin de pouvoir faire usage de toutes leurs prérogatives, sous peine de se faire vertement recadrer par l'Elysée. Et ceux de l'opposition ne peuvent toujours pas se faire entendre dans l'hémicycle autrement que par les invectives.
Contre le Conseil constitutionnel
Le Parlement aux ordres, reste quand même le Conseil constitutionnel. Hadopi, la taxe carbone, la rétention de sûreté… Les Sages ont multiplié les censures des grands projets législatifs de Nicolas Sarkozy depuis 2007. De fait, le président de la République fait tout pour essayer de passer outre.
« Je veux que vous ayez du courage, il ne faut pas tenir compte des critiques, il faut foncer. La pire des maladies, c'est la tremblante. », a-t-il lancé le 5 janvier en Conseil des ministres, après la censure de la réforme de la taxe professionnelle, au nom du principe d'égalité.
Ce qu'il avait d'ailleurs fait ostensiblement en février 2008, en demandant au premier président de la Cour de cassation de lui faire des propositions pour rendre immédiatement applicable la rétention de sûreté aux criminels déjà condamnés… que le Conseil constitutionnel venait de censurer 24 heures plus tôt.
Contre les syndicats
La réforme des retraites a aussi été l'occasion de vérifier le peu d'intérêt que porte Nicolas Sarkozy aux organisations syndicales. Après trois petits mois seulement de négociation, le texte était déjà transmis au Parlement, sans même qu'ils ne puissent lire avant sa version définitive.
Les deux millions de personnes qui ont défilé dans la rue le 7 septembre n'ont pas non plus changé grand-chose au projet de loi. Le porte-parole de l'UMP, Dominique Paillé, a ressorti une célèbre formule, au Point.fr : « Ce n'est pas la rue qui gouverne. »
Seules quelques menues concessions ont été annoncées le lendemain par le chef de l'Etat. Mais elles étaient en réalité préparées à l'avance, et avaient même été dévoilées en partie trois jours plus tôt à la radio par Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée.
Contre les journalistes
L'affaire Bettencourt-Woerth est le théâtre de toutes les déclarations de haine de la part de la majorité contre une presse qui n'est pas aux ordres. Cette affaire ? « Une cabale médiatique », selon le ministre en question. La publication des écoutes réalisées chez l'héritière de L'Oréal ? « Des méthodes fascistes », selon Xavier Bertrand, le secrétaire général de l'UMP.
Dernier épisode en date : Le Monde a déposé plainte pour violation du secret des sources, après la révélation d'une enquête menée par la Direction centrale du renseignement intérieur, toujours dans la même affaire. Le quotidien qualifie la DCRI de « cabinet noir » utilisé par l'Elysée pour « s'affranchir des règles de la simple justice ».
Heureusement que le président de la République avait quand même pris quelques précautions avec la réforme de l'audiovisuel public : adoptée début 2009, elle lui permet de nommer désormais les présidents de France Télévisions et de Radio France.
Contre la gauche
A son arrivée à l'Elysée, les socialistes étaient choyés par Nicolas Sarkozy, qui n'aime rien moins que créer la division au sein de l'opposition. De Bernard Kouchner nommé au ministère des Affaires étrangères aux missions confiées à Jack Lang, via Dominique Strauss-Kahn envoyé au FMI.
Mais l'ouverture à gauche a fini d'ébranler les socialistes, dont peu tombent aujourd'hui dans les filets sarkozystes. Face à l'unité affichée du PS, place désormais au combat frontal et verbal. Un exercice dans lequel excelle l'UMP, et notamment Xavier Bertrand, qui a encore déclaré fin août au JDD :
« Les socialistes sont totalement éloignés du peuple. L'anti-sarkozysme est le seul ciment qui les unit aujourd'hui. Je suis frappé par leur absence de propositions et de projets. On l'a vu sur la question de la sécurité, ils n'apportent aucune réponse. Sur les retraites, je n'en vois guère non plus, si ce n'est l'augmentation des cotisations et des impôts… »
Contre la droite
Devant l'amplification des voix discordantes au sein de la majorité, le chef de l'Etat est passé de l'ouverture à gauche à l'ouverture… à droite. Lors du dernier remaniement, il a recruté dans chacune des grandes familles de son camp : un centriste (Marc-Philippe Daubresse), un chiraquien (François Baroin) et même un villepiniste (Georges Tron).
Mais certains perturbateurs n'ont pas cessé depuis leur activité. A l'image des Jean-François Copé et autres Alain Juppé. Pas question cependant de leur céder. Alors, début septembre à l'occasion du campus UMP, le Premier ministre est venu donner clairement de la voix dans cette période trouble :
« Les petites phrases et les états d'âme, la majorité a le devoir de s'en dispenser. Douter aujourd'hui est inconcevable. »
Illustrations : Nicolas Sarkozy et le président roumain Traian Basescu, lors du Sommet des 27 à Bruxelles, le 16 septembre 2010 (Philippe Wojazer/Reuters) ; dessins de Baudry.