Loppsi : l'efficacité de la vidéo surveillance n'est pas prouvée - Par Sebastian Roché

Publié le par Désirs d'Avenir Castelnau-de-Médoc

Le gouvernement a fait de la vidéosurveillance une de ses priorités politiques et la promeut encore dans la Loppsi. Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, défend urbi et orbi qu'elle est terriblement efficace (avec des baisses de 40% supplémentaires dans les villes équipées). Mais sur quoi se fonde-t-il ?

 

Téléchargez le rapport d'efficacité de la vidéosurveillance

Sur un « vrai-faux » rapport. Les inspections générales de l'administration, de la police et de la gendarmerie on effectué une mission conjointe répondant à la demande de mesurer quantitativement l'effet de la vidéosurveillance sur la délinquance. (Téléchargez le rapport sur l'efficacité de la vidéosurveillance)

Ce rapport, sorti en juillet 2009, est entaché de faiblesses méthodologiques si nombreuses qu'elles interdisent d'attribuer du crédit aux conclusions. Il serait raisonnable de le donner à expertiser à des professionnels indépendant et, le cas échéant, de le retirer publiquement.

En effet, comparer des communes vidéosurveillées et d'autres qui ne le sont pas part d'une bonne intention. Mais la manière de le réaliser n'est pas satisfaisante. Les inspecteurs nous disent que la délinquance baisse plus dans les unités observées qui sont équipées de vidéosurveillance et en concluent que la vidéosurveillance fait diminuer la délinquance.

Ce raisonnement n'est pas sérieux. Il est du même type que celui des industriels qui disent que les personnes qui mangent des fruits et légumes traités avec des pesticides vivent plus longtemps que les autres et en concluent qu'il n'y a pas d'effet cancérigène du traitement chimique des fruits. Explications.

1Les échantillons comparés ne sont pas comparables

En effet, une des règles de base de l'évaluation des impacts consiste à rendre les deux échantillons observés (ceux équipés et ceux qui ne le sont pas) aussi identiques que possibles.

Pour cela, on peut apparier les unités observées, c'est à dire qu'on forme des paires d'unités qui se ressemblent le plus possible sur un certain nombre de critères dont on sait qu'il vont influer sur les variations de ce qu'on veut observer (ici, les niveaux de délinquance).

Or ceci n'a pas été réalisé. Si on n'apparie pas, une seconde règle de base consiste au moins à contrôler les facteurs concurrents.

On fait l'hypothèse que la vidéosurveillance va affecter la délinquance, mais on sait que nombre d'autres facteurs ont un effet sur le volume de délits enregistrés : on les appelle concurrents (renouvellement du parc automobile, augmentation des autres dépenses des communes pour la sécurité, modification de l'éclairage public, protection des biens par les hypermarchés, recours à des sociétés privées par les particuliers, importance de l'accroissement passé de la délinquance qui peut déterminer l'importance de la décrue etc…).

On doit donc s'assurer que les écarts entre villes vidéosurveillées et les autres ne sont pas dus à ces « autres facteurs ». Ceci n'a pas été fait.

On ne vidéosurveille pas des villes mais des quartiers

Le fait de comparer les villes « équipées » au reste de la France n'a pas de sens statistique. Les conclusions sont simplement inacceptables. En l'absence de toute preuve, les évolutions de la délinquance enregistrée par la police ne devraient pas être présentées comme liées à l'équipement des communes en caméras.

Pour mesurer une variation de la délinquance, il faut avoir auparavant déterminé les unités spatiales au sein desquelles on va pouvoir observer un certain nombre de variables (ici, des volumes de différents délits). Lorsqu'on dit qu'on vidéosurveille une ville, en fait on couvre certaines parties de certains quartiers (le plus souvent des fragments du centre-ville commerçant et certaines sections de quartiers pauvres).

Les effets bénéfiques dissuasifs éventuels doivent donc s'observer à l'échelle de ces petites unités, des morceaux de quartiers couverts par la vidéo et non pas des quartiers entiers et encore moins des communes entières ou des circonscriptions de police ou de gendarmerie.

À moins de procéder ainsi par micro-découpage, on ne peut absolument pas conclure au fait que la vidéosurveillance est bien à l'origine de la variation de la délinquance à la baisse à l'échelle de la commune.

On ne peut pas comparer les zones vidéosurveillées au « reste de la commune » sans contrôler statistiquement la nature des espaces.

En résumé, l'éventuel effet de la vidéosurveillance sur la délinquance ne peut pas être mesuré au plan des circonscriptions de police ou des communes en zone gendarmerie. Ces unités géographiques sont vastes et elles ne sont pas intégralement couvertes. Aucune étude scientifique n'a procédé comme cela et ne le fera dans le futur.

Les indicateurs de délinquance ne sont pas appropriés

Il faut ajouter trois points :

  1. Les indicateurs de la délinquance retenus ne convainquent pas. D'une part, les mesures des atteintes aux biens ne sont pas assez spécifiques (comment pourrait-il y avoir un effet sur le nombre des vols qui se situent hors de la voie publique ? ). D'autre part, les atteintes volontaires à l'intégrité physique sont essentiellement des coups et blessures. Une grande partie d'entre eux sont liés aux différents familiaux et domestiques qui se déroulent dans les espaces privés qui sont hors de portée des caméras.
  2. Les périodes de référence (plus ou moins deux ans autour du moment de l'installation) retenues pour mesurer l'effet de la vidéosurveillance autour d'une date-pivot ne sont pas adaptées : une même commune s'équipe par phases successives, il n'y a donc pas d'avant et d'après une date-pivot donnée à cette échelle géographique.
  3. Les indicateurs de densité d'équipement ne sont pas pertinents (nombre de caméras pour 1 000 habitants), car les caméras surveillent des espaces et non pas des personnes. Il faudrait rapporter les superficies couvertes aux superficies des communes ou circonscriptions de police.
D'autres études conduites correctement existent

Si les inspections avaient consulté la littérature internationale mobilisée par d'autres ministères de l'Intérieur, elles auraient pu voir comment les pays qui ont adopté des approches rigoureuses pour mesurer les effets des dispositifs techniques procèdent.

Et elles se seraient peut-être demandé pourquoi leurs résultats étaient si différents (puisque les vraies évaluations conduites dans d'autres États n'enregistrent pas de bénéfice sur les évolutions de la délinquance dans la rue) et révisé leur propre méthode.

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