Agriculture: Sarkozy se trompe (encore et toujours) sur les chiffres
France 24
Pour parler du poids de l'agriculture en France, Nicolas Sarkozy reprend les chiffres sur-évalués du lobby agro-industriel et non ceux de l'Insee sur l'agriculture.
Nicolas Sarkozy a décidément du mal avec les chiffres. Mardi 27 octobre, il a présenté son plan de 1,65 milliards pour l'agriculture. S'adressant aux éleveurs et agriculteurs mis en difficulté par la pression sur les prix exercée par les industriels, le chef de l'Etat a vanté les mérites du secteur agricole dans l'économie française en citant les chiffres… de l'industrie agroalimentaire et non de l'agriculture.
"Je pense à la souffrance des éleveurs de porcs qui sont dans l’incapacité de rembourser des annuités d’emprunts, à la révolte des producteurs de fruits et légumes qui ne peuvent obtenir de nouveaux prêts pour engager leurs prochaines saisons culturales, à la détresse des éleveurs de lait qui travaillent matin et soir sans salaire et au désarroi des viticulteurs et des producteurs de viande ou de céréales, qui sont dans l’incapacité de payer leurs charges. Cette crise impacte le premier secteur industriel de notre pays avec un chiffre d’affaires annuel de 163 milliards d’euros loin devant l’industrie automobile", dit-il dans son discours.
1ère erreur
La valeur de la production agricole (céréales, lait, viandes, vins…) en France n'a jamais atteint de tels montants. En 2008, elle était de 66,9 milliards d'euros (hors subvention) selon les derniers chiffres de l'Insee. Un chiffre en-deçà de la valeur de production automobile qui atteint 87,7 milliards d'euros pourtant marquée par un fort recul de son activité en 2008, mais aussi de la production de bien d'équipements ou des biens de consommation.
2ème erreur
Le chef de l'Etat parle de la production agro-alimentaire (industrie alimentaire, des viandes, du lait, des boisons, aliments pour animaux, tabac), qui est au cœur du conflit avec les paysans, au lieu de la production agricole, et semble tenir ces sources du principal lobby agro-alimentaire: l'Ania.
Selon l'organisation professionnelle, le chiffre d'affaires de l'industrie agroalimentaire serait de 163 milliards d'euros en 2008 en hausse de 5,5%, "loin devant l'industrie automobile", comme cité dans ses documents. Et les chiffres sont sur-évalués.
Un rapide coup d'œil sur les données de l'Insee permet de constater que le chiffre d'affaires dans l'agro-alimentaire est en réalité de 136 milliards d'euros en hausse de 5,5% sur l'année.
3ème erreur
Les étudiants en économie l'apprennent en première année: quand les économistes veulent comparer la taille d'un secteur au reste de l'économie, ils se réfèrent à la valeur ajoutée et non au chiffre d'affaires.
La production intègre la valeur des consommations intermédiaires (les produits utilisés dans le processus de production). Or, ils peuvent être très important dans la constitution du produit. Entre la boîte de petits pois sortie d'usine et les petits pois livrés par l'agriculteur, le produit livré par l'industriel n'est pas très différent, pourtant le chiffre d'affaires intègre le prix payé à l'agricuteur pour ses efforts. L'agro-alimentaire est donc très redevable de l'agriculture ou de produits importés.
En retirant les consommations intermédiaires, on obtient la valeur ajoutée qui permet de savoir ce qui a été réellement créé par le secteur en France. En 2008, la valeur ajoutée de l'agro-alimentaire tombait à 32,7 milliards. C'est, là aussi, un niveau inférieur à la valeur ajouté de l'automobile (34 milliards) ou de la construction (117 milliards).
La magie des chiffres
Nicolas Sarkozy manie les chiffres avec brio. Surtout quand il est question de justifier une aide et donc de faire paraître un secteur plus important qu'il ne l'est réellement sur le plan économique.
Hier, le secteur automobile était fortement mis en valeur lorsqu'était présenté les aides du gouvernement à la filière auto.
"L'automobile emploie 10% de la population active", répétait au début de l'année le chef de l'Etat et François Fillon, reprenant les chiffres du lobby automobile. Oui si on y intègre la construction automobile, les transports, les entreprises de construction des routes, les pompistes, la police, l'administration, les journalistes auto, les assureurs…
Rebelote en février 2009, lors de son allocution télévisée pour parler aux Français de la crise, Nicolas Sarkozy expliquait qu'à la différence de la France, l'Angleterre n'avait plus d'industrie. En proportion de PIB, leur secteur industriel est pourtant plus important qu'en France.
Thibaud Vadjoux