Ségolène Royal et les Etats-Unis d’Europe : la pensée européenne riche de Victor Hugo

Publié le par Désirs d'Avenir Castelnau-de-Médoc

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Quand on lit les discours de Ségolène Royal, de Victor Hugo ou de Barack Obama, les points communs sautent aux yeux : un véritable souffle qui anime le discours, la vision que ces trois personnalités trempées ont pour leur pays, les pays voisins et le monde, et les valeurs fortes et fondamentales qu’elles défendent.

On comprend mieux, dès lors, ce qui a amené Ségolène Royal à reprendre la vision ample et généreuse de l’Europe que défendait Victor Hugo, qui s’est concrétisée rapidement, en 1849, dans les « Etats-Unis d’Europe » ; particulièrement quand la construction européenne fait du sur-place depuis de trop nombreuses années comme actuellement, et que les pays européens ne jouent pas « collectif » en ces moments de crise et de rigueur. Cette crise et cette rigueur sont encore aggravées par le démantèlement de la puissance publique et des protections, dans une Europe majoritairement dirigée par la droite.

Victor Hugo construit sa vision de l’Europe à partir du moment où il débute sa carrière politique, au début des années 1840. Bien que certains aspects de sa pensée soient marqués par son époque ou le contexte politique (coup d’Etat du 2 décembre 1851 ; guerre de 1870 avec la Prusse), les intuitions de Victor Hugo ont souvent une surprenante actualité : rien ne nous touche plus, nous ségolénistes, que la fraternité qu’il évoque à de nombreuses reprises.

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Carte du cours du Rhin

Au cœur de l’Europe, selon Victor Hugo, se trouve le Rhin, et donc la France et l’Allemagne, même après 1870. Deux pays menacent l’Europe : la Russie et l’Angleterre. Car la Russie, c’est « l’esprit guerrier », et l’Angleterre, « l’esprit commercial », qui doivent être corrigés, pour obtenir la civilisation, respectivement par « la sociabilité » et « le désintéressement ».

Victor Hugo dessine les contours de l’Europe : l’Allemagne, avec une zone d’influence « s’appuyant à la Baltique, à l’Adriatique et à la mer Noire » et la France, s’adossant « à la Méditerranée et à l’océan » ; de la Suède à la Grèce, et entre la Russie et l’Angleterre.

L’écrivain a deux intuitions qui se sont concrétisées : la constitution de l’Europe centrale, peu évidente à l’époque ; et l’importance des Etats-Unis d’Amérique, avec lesquels il envisage pour les Etats-Unis d’Europe un lien par-delà l’océan : c’est l’Alliance atlantique que Victor Hugo entrevoit.

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L’arrêt des guerres et le suffrage universel des peuples, la « fraternité des nations » et la chute des despotismes (dessin de Plantu)

Au niveau des valeurs, Victor Hugo conçoit l’Europe comme un espace démocratique et républicain, après le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Il prédit bon nombre des progrès de la démocratie sur le continent : l’arrêt des guerres et le suffrage universel des peuplesla « fraternité des nations » et la chute des despotismes, le développement du commerce transatlantique, la liberté de circulation des hommes et des biens, la suppression du service militaire, l’abolition de la peine de mort, la liberté de parole et de conscience, …

Des extraits des paroles sublimes de l’écrivain sur l’Europe et les Etats-Unis d’Europe vous en apprendrons plus que de longs discours.

Bonne lecture !

Frédérick Moulin

-oOo-

 

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Dans Le Rhin, lettres à un ami, lettre XIV, 1842 :

Le Rhin, « c'est un noble fleuve, féodal, républicain, impérial, digne à la fois d'être français et allemand. Il y a toute l'histoire de l'Europe considérée sous ses deux grands aspects, dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France, dans ce murmure profond qui fait rêver l'Allemagne. ».

 « César, Charlemagne et Napoléon sont  les trois énormes bornes milliaires, ou plus millénaires, qu'on retrouve toujours sur son [celui du Rhin, NdlR] chemin. »

 Dans Le Rhin, lettres à un ami, Conclusion IX, 1842 :

« Que reste-t-il donc de tout ce vieux monde ? Qui est-ce qui est encore debout en Europe ? Deux nations seulement : la France et l’Allemagne.

Eh bien, cela pourrait suffire. La France et l’Allemagne sont essentiellement l’Europe. L’Allemagne est le cœur ; la France est la tête. L’Allemagne et la France sont essentiellement la civilisation. L’Allemagne sent ; la France pense.

Le sentiment et la pensée, c’est tout l’homme civilisé.

Il y a entre les deux peuples connexion intime, consanguinité incontestable. Ils sortent des mêmes sources ; ils ont lutté ensemble contre les romains ; ils sont frères dans le passé, frères dans le présent, frères dans l’avenir.

Leur mode de formation a été le même. Ils ne sont pas des insulaires, ils ne sont pas des conquérants ; ils sont les vrais fils du sol européen. »

« Il faut, pour que l’univers soit en équilibre, qu’il y ait en Europe, comme la double clef de voûte du continent, deux grands états du Rhin, tous deux fécondés et étroitement unis par ce fleuve régénérateur ; l’un septentrional et oriental, l’Allemagne, s’appuyant à la Baltique, à l’Adriatique et à la mer Noire, avec la Suède, le Danemark, la Grèce et les principautés du Danube pour arcs-boutants ; l’autre, méridional et occidental, la France, s’appuyant à la Méditerranée et à l’océan, avec l’Italie et l’Espagne pour contreforts. »

« Quand l’Europe centrale sera constituée, et elle le sera un jour, l’intérêt de tous sera évident ; la France, adossée à l’Allemagne, fera front à l’Angleterre, qui est, comme nous l’avons déjà dit, l’esprit de commerce, et la rejettera dans l’océan ; l’Allemagne, adossée à la France, fera front à la Russie, qui, nous l’avons dit de même, est l’esprit de conquête, et la rejettera dans l’Asie. […]

Résumons. L’union de l’Allemagne et de la France, ce serait le frein de l’Angleterre et de la Russie, le salut de l’Europe, la paix du monde. »

Dans « Un jour viendra » - extrait du discours prononcé le 21 août 1849 lors du Congrès international de la paix à Paris :

« Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi !

Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu'elle serait impossible et qu'elle paraîtrait absurde aujourd'hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie.

Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France.

Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées.

Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France ! (Applaudissements)

Un jour viendra où l'on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd'hui un instrument de torture, en s'étonnant que cela ait pu être ! (Rires et bravos)

Un jour viendra où l'on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d'Amérique, les États-Unis d'Europe (Applaudissements), placés en face l'un de l'autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu !

Et ce jour là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle.

Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, Américains, qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ? Nous aimer.

Nous aimer ! Dans cette œuvre immense de la pacification, c’est la meilleure manière d’aider Dieu !

Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au Moyen Âge ! Grâce aux navires à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait autrefois la Méditerranée ! Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde.  »

Deux ans plus tard, le 17 juillet 1851, à l'Assemblée législative, où il a été élu, il s'écrie :

« La France a posé au milieu du vieux continent monarchique la première assise de cet immense édifice de l'avenir, qui s'appellera un jour les États-Unis d'Europe. »

Montalembert, qui l'a écouté, s'écrie : « Les États-Unis d'Europe ! C'est trop ! Hugo est fou. »

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Victor Hugo dans le jardin de sa maison de Hauteville House à Guernesey

En exil dans sa maison de Hauteville House à Guernesey, Victor Hugo note :

« Aujourd'hui 14 juillet 1870, à une heure de l'après-midi, mon jardinier Tourtel m'assistant en présence de mon fils Charles, petit Georges et petite Jeanne étant là, j'ai planté dans mon jardin le gland d'où sortira le chêne que je baptise : "Chêne des Etats-Unis d'Europe". » 

Dans une lettre à Paul Meurice, il écrit :

«  Il ne peut sortir de cette guerre que la fin des guerres et que les Etats-Unis d'Europe. Vous les verrez. Je ne les verrai pas. Pourquoi ? C'est parce que je les ai prédits. J'ai le premier, le 17 juillet 1851, prononcé (au milieu des huées) ce mot : "les Etats-Unis d'Europe". Donc j'en serai exclu. Jamais les Moïses ne virent les Chanaans ».



Le 13 septembre 1870, de retour en France, Victor Hugo note :

« Julie m'écrit de Guernesey que le gland planté par moi le 14 juillet a germé. Le chêne des Etats-Unis d'Europe est sorti de terre le 5 septembre, jour de ma rentrée à Paris ».

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Le "chêne des Etats-Unis d'Europe" de nos jours

Dans Paris – guide de l’exposition universelle de 1869 :

« Elle s'appellera l'Europe, au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s'appellera l'Humanité. »

Victor Hugo écrit, un an après la guerre contre l’Allemagne, en 1871 :

« Les malentendus s'évanouiront. Nous aimons cette Germanie dont le nom signifie fraternité. Les questions de frontière disparaîtront. La solution de tous les problèmes, aujourd'hui, est dans ce mot immense, les États-Unis d'Europe. »

 Dans « L’avenir de l’Europe », lettre aux membres du Congrès de la Paix, à Lugano, 20 septembre 1872 :

 « Nous aurons ces grands Etats-Unis d’Europe, qui couronneront le vieux monde comme les Etats-Unis d’Amérique couronnent le nouveau. Nous aurons l’esprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ; nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; nous aurons la patrie sans la frontière, le budget sans le parasitisme, le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière, l’éducation sans l’abrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans l’échafaud, la vie sans le meurtre, la forêt sans le tigre, la charrue sans le glaive, la parole sans le baillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme, Dieu sans le prêtre, le ciel sans l’enfer, l’amour sans la haine. L’effroyable ligature de la civilisation sera défaite ; l’isthme affreux qui sépare ces deux mers : Humanité et Félicité, sera coupé. Il y aura sur le monde un flot de lumière. Et qu’est-ce que c’est que toute cette lumière ? C’est la liberté. Et qu’est-ce que c’est que toute cette liberté ? C’est la paix. »

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L'Union Européenne à 27

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