Ségolène Royal, le paroxysme de la déconnexion de la finance et de la réalité, et le « syndrome du casino »

Publié le par Désirs d'Avenir Castelnau-de-Médoc

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"On n'y comprend plus rien", texte et dessin de Martin Vidberg


« Jamais la déconnexion de la finance et de la réalité n'a été poussée si loin. Jamais les noces vénéneuses de la mathématique financière et de la révolution informatique, sous l'égide de la cupidité maximale, n'ont fait courir au monde autant de dangers. » martelait Ségolène Royal le 21 juin 2010dans son intervention devant le Conseil de l’Internationale socialiste. À juste titre !

La déconnexion de la finance de la réalité est devenue la règle, et non plus l’exception.

À l’origine, les produits dérivés étaient relativement simples et connectés à l’économie réelle : les contrats à terme, ventes ou achats d’une quantité donnée de matière première à un prix donné et à un date donnée, sont apparus au XVIe siècle. Ils permettaient au producteur de bloquer un prix longtemps à l’avance et de se protéger d’un effondrement des cours : maïs, blé, avoine, et plus récement or, argent, pétrole, gaz, soja, bétail, coton, … Le vendeur (qui réalisait la « vente à terme ») était le producteur, l’acheteur (« achat à terme ») le consommateur ou l’industriel. Les produits dérivés avaient un but principal à l’origine : la couverture. On les appelait « instruments de couverture ».

Mais les instruments de couverture sont maintenant l’exception, et les produits dérivés spéculatifs la règle.

Jérôme Kerviel, à la Société Générale, avait accumulé lors de sa mise à pied le 20 janvier 2008 près de 50 milliards de positions « nominales » (bases sur laquelle on calcule les flux d’argent réellement échangés), soit l’équivalent des recettes de l’impôt sur le revenu du budget de la France ; en trois jours, les pertes latentes sur sa position sont passées de 1,5 Md€ à 4,9 Md€, position qui a alors été soldée.

En février 1995, alors que l’informatisation n’était pas encore très poussée, le portefeuille de produits dérivés sur les indices boursiers asiatiques de Nick Leeson n’a pas été géré pendant quelques jours, le temps que la Barings en découvre l’étendue et en comprenne la complexité : la perte a été multipliée au moins par deux du fait de la non gestion de la position pendant ce laps de temps, passant à 860 M£ en estimation initiale ; plus tard elle sera revue à la hausse à 1Md£.

Le 8 décembre 2005, une jeune employée de la société de courtage Mizuho, à Tokyo, vend 610 000 actions J-Com (recrutement) à 1 ¥ au lieu d’une action à 610 000 ¥ . Perte pour Mizuho : 350 M$ ; la jeune employée est licenciée.

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"Rions un peu avec les traders : un trader aurait très "malencontreusement" passé un ordre pour vendre des milliards d’actions Proctor & Gamble à la place de petits millions. Ah ah ah !", texte et dessin de Martin Vidberg du 7 mai 2010 (www.martinvidberg.com)

Le 6 mai 2010, un trader passe un ordre sur les actions Procter & Gamble en tapant des milliards d’actions (« b » pour « billion ») au lieu de millions (« m » pour « million ») : Procter et Gamble chute de 37% et le Dow Jones de 9% avant de se reprendre. Anecdote « amusante » : le capital de Procter & Gamble est composé de 2,73 milliards d’actions seulement… et le cours de l’action oscille à environ 60 $ : l’ordre représentait une part disproportionnée du capital, et était valorisé à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Dernière anecdote en date : dans la nuit du 29 au 30 juin 2010, après un week-end de golf bien arrosé, un verre d’alcool à la main, un courtier de la compagnie PVM Oil Futures (Londres) achète en deux heures depuis son salon 7,125 millions de barils de pétrole, alors que la production maximale quotidienne fixée par l’OPEP est de 24,84 millions de barils : l’opération représente 30% de la production maximale fixée ! Dans le même ordre de grandeur, le premier exportateur mondial , l’Arabie Saoudite, exporte 8,52 millions de barils par jour. Coût de l’opération : 500 M$ (409 M€). Le courtier alcoolique a été condamné à 5 ans d’interdiction d’exercer et à une amende de 90 000 €. Il faut dire qu’il a fait « peu de  dégâts » : le cours du pétrole n’a augmenté le lendemain « que » de 4%, passant de 71 $ le baril à 73,5 $, et le courtier a été contraint de revendre à perte, à 69 $ : une perte d’environ 30 M$ « seulement ».

Mais la déconnexion de la réalité s’est doublée d’une cupidité maximale.

Les banques n’ont pas montré l’exemple, certaines développant résolument une activité de marché spéculative pour compte propre comme centre de profit, comme la Société Générale (qui fait un peu plus profil bas depuis sa déconvenue en 2008) en France ou Goldman Sachs aux Etats-Unis.

Cela s’est doublé d’une stratégie du « winner » : les grandes banques de marché embauchent des « gagnants », des « loups », prêts à se battre pour enrichir la banque. Dès lors, ils voient passer des dizaines ou des centaines de millions de nominaux tous les jours, voire de milliards. Aussi en arrivent-ils à se poser la question : « Pourquoi n’aurais-je pas ma part ? »

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Jérôme Kerviel

Cependant, est-il normal qu’un trader comme Jérôme Kerviel touche un « petit » bonus de 300 000 € en 2007, alors que son salaire est de 50 000 € par an, soit 6 fois moins ? Plus piquant : il avait demandé 600 000 €, mais cela lui avait été refusé. Mais le bonus de M. Kerviel n’a rien d’extraordinaire. Certains traders vedettes touchent 10 à 12 millions d’euro de bonus par an ; Daniel Bouton, ex-PDG de la Société Générale aimait rappeler qu’il n’était que « le quarantième salaire de la banque ». Le record actuel est attribué au trader maroco-aurichien Driss Ben-Brahim, qui lorsqu’il travaillait pour Goldman Sachs à Londres a touché en 2007 50M£ de bonus.

Le mariage de la déconnexion de la réalité et de la cupidité maximale a été explosif : ils ont donné le jour à une bulle de folie en dehors de la réalité, qu’on pourrait appeler « le syndrome du casino ».

Les marchés financiers sont devenu un immense casinoles banques et les traders sont ses« joueurs ». Pris par leur passion, les traders vivent en dehors de la réalité, tiennent des rythmes parfois infernaux, sont stressés, boivent de l’alcool ou prennent de la cocaïne. Ils utilisent des termes de casino : « gagner », « perdre », « se refaire ». Nick Leeson voulait se refaire : la Barings a fait faillite. Jérôme Kerviel voulait se refaire : 5 milliards d’euros de pertes pour la Société Générale. Comme au casino, le but est gagner vite et beaucoup ; mais si certains gagnent beaucoup, d’autres perdent autant, et inversement. C’est hypnotisant comme un jeu vidéo.

Comment en est-on arrivé là ? De nombreux facteurs entrent en jeu, notamment :

-le développement des banques universelles et/ou d’affaire, surtout au XIXe siècle, le mot « banque » étant apparu dans la langue française au XVe siècle en même temps que les banquiers lombards en Italie ;

-le développement fulgurant des échanges de marchandises et de capitaux, et des moyens de communication et de transport de par le monde au cours des deux derniers siècles ;

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Crise de la tulipe : une variété de tulipe, Semper Augustus

-ces deux derniers points ayant pour conséquence une plus grande vitesse et facilité de déplacement des gens, des informations et des capitaux, doublées d’une plus grande taille des capitaux échangés, des marchés et des banques : si la « crise de la tulipe » (1634-1637 : bulle spéculative sur les oignons de tulipe) est considérée comme la première crise spéculative mondiale, elle ne dépassa guère les frontières de la Hollande (quelques implications en France), et toucha relativement peu de gens. À l’inverse, les spéculations actuelles (dettes souveraines des Etats de l’Union Européenne) ou les scandales (Lehman Brothers) ont des répercussions sur de nombreux pays, voire sur le monde ;

-le passage progressif, sans que ces types d’opérations soient exclusifs les uns des autres,d’instruments de financement, d’instruments de couverture de l’économie (prêts/emprunts, actions, obligations, contrats à terme), à des instruments d’arbitrage (profiter des écarts de cotation entre deux places boursières pour réaliser un gain en achetant le moins élevé et en vendant le plus cher), puis à des instruments de spéculation. L’arbitrage et la spéculation sont grandement aidés par le point précédent.

Deux facteurs aggravants : le développement débridé des mathématiques financières tout d’abord. Une des révolutions a été la mise en équation d’un modèle de détermination du prix d’une option, le modèle de Black & Scholes de 1973.

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Fischer Black et Myron S. Scholes (1975 et 1970, MIT Museum)

Depuis, l’imagination des traders est débordante. Les subprimes le prouvent, et les produits dérivés qui vont avec : Fabrice Tourre, trader de ces derniers chez Goldman Sachs aux Etats-Unis, écrivait le 29 janvier 2007 :

« Quand je pense que c'est un peu moi qui ai participé à la création de ce produit (qui, soit dit en passant, est un pur produit de masturbation intellectuelle, le genre de truc que tu inventes en te disant : et si on créait un machin qui ne sert absolument à rien, qui est complètement conceptuel et hautement théorique et que personne ne sait pricer [dont personne ne sait déterminer le prix, NdlR] ?, ça fait mal au coeur de voir que ça implose en vol... C'est un peu comme Frankenstein qui se retourne contre son inventeur »

L’informatisation ensuite. Depuis 1987, il n’existe plus de lieu physique d’échange des actions à Paris (la « corbeille » du Palais Brongniart). Le « Trading à haute fréquence », cité par Ségolène Royal dans son intervention à New York le 21 juin dernier, géré automatiquement par des logiciels d’ordinateurs, permet de réaliser des opérations à la vitesse de la lumière, dans des conditions plus ou moins opaques : ce « Trading à haute fréquence » est certainement un facteur aggravant dans le mini-krach du Dow Jones et de l’action Procter & Gamble du 6 mai dernier à New York.

Dans ces conditions, comment réguler ces activités financières devenues folles ? Des garde-fous existent, mais les mailles du filet sont encore trop larges. Dans nombre de banques, les contrôles sont quotidiens, mais est-ce suffisant quand une opération peut causer de très importantes pertes en quelques fractions de secondes ? Des limites par trader, par activité, par portefeuille ou par contrepartie existent, mais certains trouvent le moyen de les contourner, comme Jérôme Kerviel, qui a été au contrôle des risques (middle-office) avant d’être trader (front-office), pouvant alors facilement « maquiller » les contrôles du middle-office.

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Barack Obama a lancé une réforme historique du système de régulation financière en mai 2010 :

-restriction des « opérations pour compte propre » des établissements bancaires et des hedge funds,

-limite aux actions trop risquées des établissements dont la chute entraînerait un risque systémique,

-régulation plus stricte de l’immense marché des produits dérivés : échanges sur des plates-formes transparentes et non plus de gré à gré, à la seule vue des deux parties ; interdiction aux banques de conclure des swaps : échanges d’actifs et plus particulièrement de taux d’intérêt fixes contre des taux d’intérêt variables, les banques étant aujourd’hui les principaux intervenants ;

-séparation plus grande des activités de banque de dépôt et de celles d’affaire.

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Alors que le gouvernement Sarkozy n’avance pas sur la réforme de la régulation financière en France, que le G20 de Toronto, après le G20 de Londres et avant celui de Séoul s’en tient aux déclarations de principe, Ségolène Royal déclarait le 21 juin à New York :

« Une nouvelle régulation doit donc voir le jour sans délai. […]. Il nous faut agir sur la racine de cette folie financière si nous ne voulons pas, comme on disait en 1929, « gâcher une crise ». »

Pour réformer et réguler la finance en France (et en Europe), il n’y a pas trois voies, il n’y en a qu’une : c’est la voie Royal.

Frédérick Moulin

Publié dans L'Espoir à gauche

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