Ségolène Royal, Paul Virilio, la crise et l’accélération du temps : spéculation automatique ultra-sophistiquée et trading algorithmique

Publié le par Désirs d'Avenir Castelnau-de-Médoc

Paul Virilio doit donner une conférence sur la crise et l’accélération du temps le 4 juillet 2010 à l’Assemblée Générale de Désirs d’avenir qui se tient à Rochefort. La spéculation automatique ultra sophistiquée associée au trading algorithmique  ou trading à haute fréquence (High Frequency Trading) y figurera certainement en bonne  place.

De quoi s’agit-il ? Ségolène Royal l’évoquait le 21 juin dernier dans son  intervention devant le Conseil de l'Internationale socialiste à New York – dont elle est Vice-Présidente – à New York :

« Les 6 et 7 mai derniers, on a frôlé la débâcle généralisée des marchés financiers, aggravée par les ratés du système de spéculation automatique ultra-sophistiqué qui travaille au millionième de seconde et que plus personne ne maîtrise. Le prochain krach financier pourrait bien être un accident systémique intégral affectant ce High Frequency Trading (Trading à haute fréquence) qui a traité, en 2009, 73% des actions échangées sur le marché américain et devrait, en Europe, en traiter bientôt 60%. »

132_crack.1273222194.jpg"Un trader aurait très malencontreusement passé un ordre pour vendre des milliards d’actions Procter & Gamble à la place de petits millions. Le Dow Jones a décroché subitement de 10% entraînant un mini-krach. On se rassure en se disant que, depuis la crise des subprimes, les marchés financiers sont contrôlés, régulés, surveillés par de nos gouvernements. Il faut vraiment un truc grave et imprévisible, comme une faute de frappe, pour dérégler un système financier complètement sécurisé." (texte et dessin humoristiques de Martin Vidberg, www.martinvidberg.com)

Depuis, en 1987, la fin de la Corbeille au Palais Brongniart et l’abolition du statut des agents de change, l’informatisation du traitement des ordres (1986-1989) a fait passer la Bourse de Paris d’un lieu d’échange physique à un lieu d’échange informatique.

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La corbeille au Palais Brongniart (Bourse de Paris)

Depuis quelques années, le système a encore progressé dans l’intégration, l’automatisation et l’informatisation des opérations de bourse : c’est le Trading à haute fréquence ou trading algorithmique. Des superordinateurs aussi puissants que ceux de la Défense nationale, grâce à des algorithmes – programmes de calcul -  complexes impliquant beaucoup de mathématique financière, traitent les opérations financières à la vitesse de la lumière.

Comme le soulignait Paul Virilio dans son entretien avec Libération le 25 mai 2010 :

« Le 6 mai 2010 est une date clé : c’est la date où la finance vient d’emboutir le mur du temps. Le mur de Wall Street est devenu le mur du temps. […]

Nous ne sommes plus dans le temps humain, mais dans le temps machine. »

Les zones d’ombres sont nombreuses : du fait des coûteux moyens ultrasophistiqués – matériel, logiciels, modèles mathématiques – nécessaires au trading algorithmique, en 2008 seule 2% des firmes de trading américaines utilisaient cette technique, mais généraient près de 22 milliards de dollars de bénéfice. De plus, la part des opérations traitées par trading algorithmique captée par les « dark pools », les plates-formes électroniques opaques, passeraient de 4,1% à 7% en 2010.

Les risques sont multiformes : le risque d’erreurs augmente quand l’accès aux opérations des clients via des machines n’est pas filtré : les accidents se multiplient. En 2003, une société de trading américaine est devenue insolvable en 16 secondes du fait de l’erreur d’un de ses employés sur une seule opération.

De plus, l’accès équitable au marché n’est plus assuré : seuls les gros intervenants peuvent négocier de larges volumes de titres à la vitesse de la lumière.

Autrement plus grave, des pratiques inéquitables se sont développées : lesflash orders. Les clients peuvent, contre commissions, « regarder » brièvement (via des ordinateurs et des algorithmes, à cette vitesse) les ordres avant qu’ils ne soient mis sur le marché par des plates-formes rivales, et ainsi arbitrer en se plaçant à son tour sur le marché avant même que l’ordre initial n’y soit arrivé. C’est un moyen facile de gagner de petits montants sur d’énormes quantités d’opérations, ce qui dégage des gains spéculatifs substantiels au bout du compte (voir l’exemple graphique ci-dessous « Un avantage de 30 millisecondes »). En fait, il s’agit presque de délits d’initiés institutionnalisés ; certains opérateurs américains ont abandonné la pratique (Nasdaq OMX et Bats) mais pas tous.

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"Un avantage de 30 millisecondes" : dans le trading à haute fréquence, les ordinateurs achètent et vendent des actions à la vitesse de l'éclair. Certains marchés, comme le Nasdaq, offrent souvent à ces "traders" un aperçu rapide aux ordres pendant 30 millisecondes - 0,03 secondes - avant qu'ils ne soient montrés aux autres. Cela permet d'acheter très rapidement des actions dont ils savent que la demande sera forte peu après. Chaque opération permet de gagner quelques cents, parfois des millions de fois par jour. Un fonds commun de placement peu rapide passe un ordre d'achat pour 5 000 actions de la compagnie XYZ. Pendant 30 millisecondes, l'ordre est acheminé vers les traders à haute fréquence avant d'être communiqué à l'ensemble de la place financière. À H+50 millisecondes, les traders à haute fréquence, sachant qu'un ordre arrive, innondent le marché d'ordres d'achat, raflant toutes les actions de XYZ à 21,00 $. À H+300 millisecondes, l'ordre du fonds commun de placement est exécuté ; les traders à haute fréquence vendent leurs actions à 21,01 $, empochant 1 cent par action, soit un total de 50 $ dans ce cas (The New York Times)

Le Prix Nobel d’économie 2008, Paul Krugman, s’interroge sur l’utilité « sociale » du trading algorithmique : « La Bourse est censée allouer le capital aux utilisations les plus productives, comme par exemple aider les sociétés qui ont de bonnes idées à lever des fonds. ». Mais l'économiste remarque que les courtiers qui donnent leurs ordres « un trentième de seconde plus vite que les autres » ne contribuent guère à « l'amélioration de cette fonction sociale ».

Le risque d’accroître les bulles spéculatives - donc les krachs - n’est pas encore établi, mais le mini-krach du 6 mai 2010 a marqué les esprits.

Les régulateurs, tant américains qu’européens, ont lancé une phase de consultation début 2010. L’accès équitable aux marchés et les « dark pools » focalisent l’attention. Mais comme le remarque Paul Virilio :

« La régulation devient impossible car on a fui dans l’accélération du réel. On a censuré le réel en quelque sorte. Et même si le gendarme de la Bourse dépose plainte, que peut-il ? Il est question de mettre en place des coupe-circuits, mais cela montre bien que nous ne sommes plus dans le temps humain, mais dans le temps machine. »

En effet, si la seule parade consiste à installer des coupe-circuits, c’est qu’on se prépare à agir quand il sera déjà trop tard, quand une anomalie significative aura été détectée et déjà enregistrée. C’est en amont, au niveau de la régulation financière qu’il faut agir vigoureusement contre cette spéculation folle et déshumanisée.

Ségolène Royal concluait son propos devant l’Internationale socialiste sur ce point en martelant :

« Jamais la déconnexion de la finance et de la réalité n'a été poussée si loin. Jamais les noces vénéneuses de la mathématique financière et de la révolution informatique, sous l'égide de la cupidité maximale, n'ont fait courir au monde autant de dangers. »

Il est temps de réguler ces activités débridées d’une finance de plus en plus déconnectée de l’économie réelle.

Frédérick Moulin

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"Algo-trading" : les Bourses sous l'emprise des machines ?

 

L'essor vertigineux du trading algorithmique

Qu'est-il donc arrivé le jeudi 6 mai 2010 à la Bourse de New York ? En quelques minutes, l'indice phare Dow Jones a chuté de plus de 9 %. Un vent de panique s'est emparé des marchés et 1 000 milliards de dollars se sont envolés. Si plusieurs causes sont évoquées, l'une d'elles, l'algotrading, est mise en avant. Peu connue, cette technique boursière a pourtant assuré en 2009 70 % du volume des 10 milliards d'échanges quotidiens réalisés sur les différentes places boursières aux Etats-Unis, selon Tabb Group, une société américaine de conseil et de recherche sur la finance.

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Traders de la Bourse de New York le 6 mai 2010 après le plongeon des marchés : sur l'écran : "Flash spécial  : la responsabilité du plongeon du marché imputée à une erreur de trading sur une des principales valeurs" ; sur la courbe, on voit nettement le "plongeon" sur la droite (Ruth Fremson/The New York Times)

L'algotrading, contraction de "trading algorithmique" (aussi appelé "high frequency trading", "trading à haute fréquence") ne cesse de gagner en importance. Cette pratique repose sur "des machines capables d'exécuter des ordres à toute vitesse et de tirer ainsi profit des écarts de prix minimes sur les valeurs […]. Ces outils d'un nouveau genre arbitrent, fractionnent, achètent et vendent. Leur dieu est le même que celui du trader à tête d'homme : le temps. A la différence que leur échelle de temps est le millième de seconde et que, en guise de cerveau, ils disposent de formules algorithmiques" (Mathieu Rosemain, Les Echos, 14 avril 2010). Le phénomène est  à relier au "turbo-capitalisme" identifié par le sociologue Paul Virilio dans une interview à Libération (25 mai 2010) devenu, pour certains, emblématique de cette "finance folle" qui a gagné la planète.

Son histoire est récente. Né aux Etats-Unis à la suite de l'informatisation des ordres sur les marchés financiers dans les années 1970, le trading algorithmique a pris son essor au début des années 2000, quand la décimalisation a modifié la taille des ordres en fractionnant leur valeur, passée d'un minimum de 1/16 de dollar (0,062 5 dollar) à 0,01 dollar. Cela a changé la microstructure du marché en créant des différences plus petites entre prix offerts et prix proposés, favorables aux opérations automatisées.

Une décennie plus tard, le boom de l'algotrading est spectaculaire. Aux Etats-Unis, plus de 75 % des institutions financières et 95 % des traders institutionnels utilisent des stratégies de trading algorithmique. Selon la société Celent, le trading à haute fréquence constitue près de 42 % des volumes d'actions traités et atteindra 54 % au dernier trimestre 2010. Les plus grosses sociétés américaines de trading algorithmique, comme Getco ou Citadel, traitent parfois de 10 à 20 % des actions de grandes sociétés cotées.

L'Europe est "en retard" en la matière : l'algotrading y est responsable d'un ordre sur quatre, selon le cabinet d'études américain Aite Group. Mais il pourrait monter à 45 % des volumes quotidiens dans deux ans. Celent prévoit surtout un développement en Asie, avec la modernisation notamment de la Bourse de Tokyo. Mais d'autres régions du monde s'intéressent à cette technique, comme l'Amérique latine, attirées par la promesse de plus de liquidité, qui rend les investissements moins coûteux et plus simples.

Les enjeux financiers sont considérables : 2 % des 20 000 firmes de trading américaines utilisent ces techniques et ont réalisé en 2008 un bénéfice de 21,8 milliards de dollars. D'autant qu'une partie des échanges se fait grâce à l'essor des "dark pools". Ces plates-formes électroniques opaques capteraient pas moins de 4,1 % des volumes échangés en valeur en Europe, selon Tabb Group. Les échanges opaques pourraient représenter 7 % des échanges de titres en 2010 et bénéficieraient de l'essor et de la sophistication croissante de l'algotrading.

Les enjeux sont donc considérables et le ticket d'entrée ne cesse de s'élever. Les teneurs du marché comme Getco, les fonds spéculatifs et les Bourses elles-mêmes se livrent à une bataille technologique coûtant des centaines de millions de dollars d'investissements – pour gagner les quelques fractions de seconde qui leur permettront d'empocher des bénéfices juteux. Les opérateurs boursiers ont aussi compris leur intérêt. Progressivement, ils proposent à leurs membres de louer des serveurs à quelques mètres, voire quelques centimètres du cœur des échanges électroniques. C'est ce qu'on appelle la "co-location". On estime qu'à chaque centaine de miles (160 kilomètres) supplémentaire de distance du lieu de l'opération, 1 millième de seconde est ajoutée à celle-ci : ce qui peut faire perdre une opération ou gagner des millions.

Edouard Pflimlin

lemondefr pet

18.06.10 | 19h11


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Un faisceau de risques multiformes

Les risques engendrés par l'algotrading sont multiples. D'abord le risque d'erreurs lors des opérations est accentué lorsque l'accès des clients aux opérations se fait via les machines, sans que cet accès soit filtré. Selon Robert L. D. Colby, ancien vice-directeur de la division trading et marchés de la Securities and Exchange Commission (la SEC, le gendarme de la Bourse américaine), en deux minutes, des centaines de milliers d'ordres valant des milliards de dollars peuvent être donnés. L'accroissement de la vitesse des opérations sans contrôle peut donc générer des pertes considérables. L'indice Dow Jones Industrial Average avait ainsi chuté de 100 points en 2002 quand un courtier de la banque Bear Stearns avait entré par inadvertance un ordre de vente de 4 milliards de dollars au lieu de 4 millions. Vu la vitesse des opérations, plus de 600 millions de dollars d'actions avaient été échangés avant que l'erreur ne soit détectée. En 2003, une société de trading américaine était devenue insolvable en seize secondes quand un de ses employés s'était trompé dans une opération, rapporte la Fed de Chicago dans un document récent.

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Jatin Suryawanshi, directeur général actions chez UBS Stamford, Connecticut, dirige la division trading algorithmique. Il est entouré de 5 écrans. Globalement, c'est la plus grande salle de marché du monde : 1 400 postes, 2 000 ordinateurs, 5 000 écrans et plus de 1 689 000 opérations traitées par jour.

L'algo-trading pose également le problème d'un accès équitable au marché. Cette technique avantage les intervenants de grande envergure qui peuvent négocier numériquement de larges volumes de titres, presque à la vitesse de la lumière. Ce qui pose la question de la formation des prix sur le marché : celle-ci est-elle sincère, dénuée d'intérêt ? Ou au contraire, est-elle biaisée ? Si tel est le cas, on s'écarterait d'un fonctionnement efficient des marchés financiers.

QUELLE UTILITÉ SOCIALE ?

Sans compter que l'algo-trading a permis le développement de pratiques inéquitables. A l'été 2009, une forme particulière de trading à haute fréquence a retenu l'attention : les flash orders. Par cette pratique, les Bourses autorisent certains clients, contre commission, à regarder brièvement les ordres avant qu'ils ne soient placés et orientés vers des plates-formes rivales. Les flash orders, très critiqués par les autorités de régulation boursière, sont accusés de fausser les fondements du marché libre. Deux opérateurs américains, Nasdaq OMX et Bats, ont d'ailleurs décidé de les abandonner.

Aussi, certains s'interrogent sur l'utilité "sociale" du trading algorithmique. Le Prix Nobel d'économie 2008, Paul Krugman, s'est ému de la montée en puissance de ces méthodes de spéculation qui, selon lui, ont largement contribué aux profits élevés de la banque d'affaires Goldman Sachs. "Cette méthode constitue une sorte de taxe pour les investisseurs qui n'ont pas accès à ces ordinateurs super-rapides, écrit-il dans le New York Times en août 2009. La Bourse est censée allouer le capital aux utilisations les plus productives, comme par exemple aider les sociétés qui ont de bonnes idées à lever des fonds.". Or, relève l'économiste, les courtiers qui donnent leurs ordres "un trentième de seconde plus vite que les autres" ne contribuent guère à "l'amélioration de cette fonction sociale".

Quant au risque d'accroître les bulles spéculatives et donc, éventuellement, de provoquer des krachs, il n'est pas encore établi. On se rappelle cependant que le krach d'octobre 1987 a été en partie aggravé par le trading informatisé et la stratégie d'assurance de portefeuille, rappelle Paul Wilmott, fondateur d'une revue de finance quantitative, dans une tribune au New York Times. Et plus récemment, le mini-krach du 6 mai a renforcé les inquiétudes sur cette pratique boursière. Si l'on ne sait pas qui a déclenché cette chute boursière, le trading à haute fréquence est mis à l'index par les régulateurs, notamment la SEC. La question d'une meilleure régulation du phénomène est posée.

Edouard Pflimlin

lemondefr pet

18.06.10 | 19h08

Publié dans Economie

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