Handicap: Le palmarès des villes les plus accessibles
Le 11 février 2005, la loi assignait aux cités et à leurs élus un objectif à l'horizon 2015: offrir un cadre de vie adapté aux habitants handicapés. Cinq ans avant l'échéance, le compte est loin d'être bon.
"Savez-vous quels sont les seuls lieux, en France, systématiquement accessibles aux fauteuils roulants ?" Lorsqu'il pose cette question en forme de devinette, Jean-Marie Barbier, président de l'Association des paralysés de France (APF), n'a pas le coeur à sourire.
L'intrégalité du classement 2010 des villes les plus accessibles est disponible ici.Encore moins quand il livre la bonne réponse: ce sont les centres commerciaux, taillés sur mesure pour les... chariots de supermarché. Pourtant, le 1er janvier 2015, tous les établissements recevant du public, des mairies aux postes, des boulangeries aux cabinets médicaux, des piscines aux cinémas, devront se montrer aussi accueillants que les hypermarchés et leurs galeries marchandes à l'égard des handicapés.
Les pouvoirs publics prennent du retard
De tous les handicapés: ceux qui se déplacent en fauteuil comme les non-voyants, les malentendants, les handicapés mentaux et psychiques -au total, quelque 5 millions de personnes en France.
L'accessibilité totale des bâtiments, des équipements et des transports collectifs: c'est l'objectif fixé par la loi Handicap du 11 février 2005, dont Jacques Chirac s'était fait l'ardent promoteur.
Où en sont les villes françaises, cinq ans tout juste après l'entrée en vigueur de ce texte et cinq ans tout rond avant l'échéance ? Pour le savoir, L'Express et l'APF ont mené l'enquête dans les chefs-lieux des 96 départements métropolitains. Adaptation du cadre de vie au handicap moteur, accessibilité des équipements municipaux et volontarisme de la mairie ont été passés au crible. Finalement, les résultats sont fortement contrastés d'une municipalité à l'autre, du bon élève nantais au cancre bastiais. "On a progressé, mais énormément de chemin reste à faire", reconnaît Patrick Gohet, ancien délégué interministériel aux personnes handicapées.
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Si, avant 2005, une poignée de villes pionnières se souciait déjà de leurs citoyens handicapés, d'autres ont pris beaucoup de retard: 1 préfecture sur 5 n'a pas établi son schéma directeur d'accessibilité; 1 sur 2 n'a pas recensé les logements adaptés; 15% n'ont pas encore engagé un plan d'aménagement de leur voirie et de leurs espaces publics. Quant aux commissions communales d'accessibilité, dans 3 villes sur 4, elles ne se sont pas réunies depuis un an...
Des tribunaux pas plus accessibles
Regina Ubanatu balaie les statistiques d'un revers de main. "La situation est tout simplement pitoyable, lâche la jeune femme, qui vit et travaille à Courbevoie (Hauts-de-Seine). Essayez donc de prendre le métro en fauteuil roulant ! C'est quasiment impossible. Le RER, c'est mieux, sauf que les ascenseurs sont souvent en panne. Quant aux lieux de convivialité, cafés, restaurants ou théâtres, impossible de rentrer dans 75 % d'entre eux.
Comment exister quand on ne peut pas se déplacer, sortir ? Comment ne pas se sentir humilié ?" Le 18 janvier 2010, l'auteure de La petite fille qui dansait dans sa tête (l'Archipel) a adressé une lettre ouverte à Nicolas Sarkozy pour lui dire sa déception: "A la veille du 5e anniversaire de la loi [...], la réalité n'est pas à la hauteur de ce que l'on était en droit d'espérer."
L'Etat ne donne pas l'exemple. L'avocate lensoise Marianne Bleitrach ne décolère pas contre les tribunaux de sa région, le Nord - Pas-de-Calais. "Hazebrouck, Boulogne-sur-Mer, Calais, Saint-Omer: aucun n'est aménagé, dénonce-t-elle. Les policiers doivent me hisser avec mon fauteuil, puis me redescendre. Seule exception, la cour d'appel de Douai, désormais équipée d'un ascenseur."
Il y a cinq ans, écoeurée, elle a porté plainte contre le ministère de la Justice au nom de la "rupture d'égalité devant le service public". Son affaire est entre les mains du Conseil d'Etat depuis trois ans.
Les associations de handicapés en ont, elles aussi, gros sur le coeur. Voilà trente-cinq ans que les gouvernements successifs, au fil de généreux textes de lois (1975, 1991, puis 2005), leur promettent un cadre de vie et des moyens de transport sur mesure.
Le musée des Arts premiers n'est pas adapté aux handicapés
Or, aux yeux des militants, le compte n'y est pas, loin de là. "Adapter un bâtiment à la déficience visuelle, moyennant des bandes rugueuses au sol et des rampes d'escalier allongées, ne coûte pas grand-chose, souligne Thierry Jammes, chargé du dossier à la Fédération des aveugles et handicapés visuels de France. Eh bien, même cela, ce n'est pas fait! On n'y pense pas, donc on ne s'en préoccupe pas. C'est un problème de conscience collective."
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Dans cinq ans, tous les logements, commerces, lieux publics devront être accessibles. Ce n'est pas gagné.
Preuve de ce manque d'intérêt pour la question, selon lui: nombre d'architectes piétinent encore allègrement les exigences légales d'accessibilité. Ce Montpelliérain en veut pour preuve la future mairie de sa ville, signée Jean Nouvel et François Fontès: "Lorsque nous avons contrôlé le permis de construire, nous avons constaté que la moitié du bâtiment ne convenait pas aux personnes à mobilité réduite. Quant aux autres handicaps, ils n'avaient pas du tout été pris en compte..."
Quai Branly, à Paris, le musée des Arts premiers, dessiné, lui aussi, par Nouvel, a ouvert ses portes, en juin 2006, malgré l'avis négatif de la commission de sécurité et d'accessibilité de la préfecture de police. Motif : pas adapté aux handicapés. "Aujourd'hui, le nouveau directeur du musée essaie d'améliorer ce qui peut l'être, précise Nicolas Mérille, le "M. Accessibilité" de l'APF. Mais tout n'est pas rattrapable..."
L'APF a décrété 2010 "année de la colère noire". "Contrairement au développement durable, le handicap n'est pas une priorité du gouvernementactuel, estime son président, Jean-Marie Barbier, qui déplore le traitement cavalier réservé par l'Elysée aux associations depuis 2007. Et nous constatons actuellement une montée des résistances." L'APF est partie en guerre contre toute entorse au principe de l'accessibilité pour les bâtiments neufs. Une position maximaliste qui ne fait pas l'unanimité parmi les spécialistes.
"Je veux juste qu'on respecte mes droits"
"La configuration du terrain peut, dans certains cas exceptionnels, justifier des dérogations cadrées et motivées", juge l'architecte et urbaniste Soraya Kompany, qui a travaillé pendant six ans à la délégation interministérielle aux personnes handicapées.
Désormais, c'est au tout nouveau comité interministériel du handicap, placé sous l'autorité du Premier ministre, qu'incombe la mise en oeuvre de la loi de 2005. Une satisfaction pour les associations, qui demandaient depuis belle lurette une prise en main politique du dossier.
Pour Thierry Dieuleveux, secrétaire général de ce comité, le combat n'est pas gagné: "On mettra cinquante ans à atteindre l'objectif d'accessibilité si les opérateurs ne comprennent pas que les équipements nécessaires sont utiles non seulement aux handicapés, mais aussi aux parents avec poussettes et aux personnes âgées. N'oublions pas que nos sociétés vieillissantes vont être des sociétés de la mobilité réduite."