Raoult, Goncourt de la bourde

Publié le par Désirs d'Avenir Castelnau-de-Médoc

JDD.FR

Le député UMP Eric Raoult demande à Marie NDiaye, Goncourt 2009 qui avait critiqué la politique du gouvernement avant d'être primée, de respecter "l'image de la France". Bernard Pivot, membre du jury, moque cette "bourde", aux airs de provocation. Il rappelle qu'il n'existe pas de "devoir de réserve" pour les lauréats de ce prix littéraire et seulement littéraire. Marie NDiaye en appelle au ministre de la Culture.

Existe-t-il un "devoir de réserve" pour les lauréats du prix Goncourt? Autrement dit, les auteurs doivent-ils être récompensés pour leurs qualités littéraires mais aussi pour leurs opinions, et si possible pour leurs opinions en faveur du pouvoir en place? La question semble pour le moins surannée, mais c'est ce qu'à osé insinuer le député UMP Eric Raoult, suscitant - une fois n'est pas coutume - une polémique. Mardi, l'élu de Seine-Saint-Denis a interpellé le ministre de la Culture dans une question écrite sur les propos jugés "insultants" de Marie Ndiaye. En tant que lauréate du Goncourt 2009, l'auteure doit, selon lui, "respecter la cohésion nationale et l'image" de la France.

Le député faisait référence aux propos critiques de la Franco-Sénégalaise envers le gouvernement. Dans une interview accordée aux Inrockuptibles l'été dernier, Marie NDiaye expliquait son départ de France pour l'Allemagne par un climat de "flicage" après l'élection de Nicolas Sarkozy à l'Elysée. Elle ciblait notamment le ministre de l’Immigration, Eric Besson, et son prédécesseur, Brice Hortefeux, qualifiés de "monstrueux".

Il y a quelques jours, elle tempérait toutefois ces propos. L'auteure de Trois femmes puissantes, récompensée le 2 novembre par le plus prestigieux des prix littéraires français, niait s'être exilée pour des raisons politiques. "C'est très excessif. Je ne veux pas avoir l'air de fuir je ne sais quelle tyrannie insupportable", avait-elle assuré au micro d'Europe 1.. "Depuis quelques temps, je trouve l'atmosphère en France assez dépressive, assez morose. Il me semble qu'à Berlin, elle est plus exaltante", expliquait-elle simplement.

"Le choix se fait en fonction de la qualité d'un roman"

Attaquée en haut lieu, l'écrivain a trouvé du renfort mercredi dans le monde culturel et politique. Bernard Pivot, membre du jury du Goncourt, a remis les pendules à l'heure: "Le devoir de réserve n'a jamais existé, n'existe pas et n'existera jamais, pas plus pour le lauréat du prix Goncourt que pour le lauréat du prix Nobel de littérature, auxquels il est arrivé de tenir des propos très engagés", rappelle-t-il dans une interview accordée au Nouvelobs.com.

Certes, l'Académie Goncourt a la particularité d'avoir été reconnue "d'utilité publique" par le président de la République dès 1903 et d'être soumise au contrôle de deux ministères, celui de la Culture et celui de l'Intérieur. Mais, "il n'est nulle part inscrit dans les statuts de l'Académie Goncourt qu'elle aurait à choisir des auteurs n'affichant qu'une neutralité inodore et incolore. Le choix se fait en fonction de la qualité d'un roman, sans se soucier des opinions politiques, philosophiques ou religieuses de son auteur", souligne Bernard Pivot, qui, bonhomme, attribue sur France Info "cette bourde" d'Eric Raoult - que d'autres qualifieront de provocation politique - à la simple méconnaissance qu'il aurait des milieux littéraires.

Un ministre appelé à trancher

D'autres prennent l'affaire plus au sérieux. Le député socialiste Christian Paul a accusé Eric Raoult de censure "exécrable", de "violenter la liberté d'expression, donc notre liberté tout court", et d'"ignoble intimidation" envers Marie NDiaye. "Je lui demande, pour notre pays et son histoire, de retirer ses propos, et au ministre de la Culture de faire son devoir en condamnant cette dérive", ajoute-t-il.

C'est aussi au ministre Frédéric Mitterrand que Marie NDiaye fait appel mercredi, après avoir pris connaissance du texte "grotesque" du député UMP. "J'attends qu'il réponde enfin à la question que lui pose Eric Raoult, qu'il prenne clairement position sur cette affaire, et mette un point final à cette histoire ridicule. Son silence est mystérieux, et ressemble à un silence embarrassé, alors qu'il n'y a me semble-t-il aucune raison de l'être", déclare-t-elle au Nouvelobs.com. Frédéric Mitterrand, jury du prix Médicis (il ne participe pas aux délibérations tant qu'il exerce ses fonctions rue de Valois), connaît en effet très bien les règles des prix littéraires, et semble en mesure de les rappeler au député de la majorité.

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