Slate.fr/Proverbe UMP: si tu perds le scrutin, change le mode de scrutin

Publié le par Désirs d'Avenir Castelnau-de-Médoc

La défaite de la majorité présidentielle au premier tour des élections régionales pourrait relancer le mode d’élection à un tour imaginé par l’UMP pour les futurs conseillers territoriaux… comme une première étape vers le bipartisme.

«L’abstention montre qu’il faut une réforme du mode de scrutin» (Xavier Bertrand). «Cela légitime la nécessité d’une réforme territoriale et du mode de scrutin.» (Nathalie Kosciusko-Morizet). «Nicolas Sarkozy tient pour responsable le mode de scrutin régional (à deux tours avec prime majoritaire) auquel “personne ne comprend rien”.» (Les Echos)

Je crois que le message est clair. Pourtant, la dernière fois que le gouvernement justifiait sa réforme territoriale, l’objectif n’avait rien à voir avec les élections. Plutôt, on allait enfin clarifier le «millefeuille» des compétences locales, entre la région, le département, la commune et les communautés de commune*. Avec sa mesure phare, la création d’un conseiller territorial siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional à partir de 2014, c’en était fini des gaspillages et chevauchements. Sans compter qu’on passerait de 6.000 à 3.000 élus. Une belle économie.

A un détail près: quelques lignes de l’article 1er, chapitre II, précisent le mode d’élection imaginé pour ce nouveau conseiller territorial. Oh, juste une formalité. Un simple scrutin «mixte», uninominal majoritaire à un tour par canton pour 80% des sièges et proportionnel avec la «méthode du plus fort reste» pour les derniers 20%. Pas de quoi faire la une des 20H.

Cet alinéa pourrait pourtant bouleverser la carte politique française. Dès 2014, les petits partis auraient été anéantis par ce scrutin à un seul tour au profit de l’UMP et, dans un second temps, du Parti socialiste, sauf à s’allier avec les deux mammouths avant le scrutin. Si ce mode de scrutin avait été en vigueur dimanche dernier, l’UMP aurait probablement pu conserver plusieurs régions.

En matière électorale, le diable se niche dans les détails.

Simulation: 16 mars 2014

Imaginons que le mode de scrutin échafaudé par l’UMP entre en vigueur.

Vous êtes électeur du Cher, dans la région Centre. Vous avez reçu une convocation pour l’élection des conseillers territoriaux, dimanche 16 mars 2014. Attention, il n’y a désormais qu’un seul tour, votez bien dès le premier coup. Dans votre canton, vous avez le choix entre M. Gauche (affilié à la liste PS), M. Extrême-Gauche (NPA), M. Ecolo (Europe-Ecologie), Mme Droite (UMP), M. Centre (MoDem) et Mme Rien (affiliée à aucune liste). Le dimanche soir, Mme Droite obtient le plus de voix. Elle est élue conseillère territoriale.

Votre candidat, M. Gauche, a perdu. Il ne sera jamais conseiller territorial. Bye bye.

Mais tout n’est pas perdu pour le camp socialiste. Les voix de M. Gauche vont être additionnées à celles obtenues par les candidats socialistes perdants des autres cantons du département. Ce total va servir à obtenir une partie des 20% de sièges restant, par la méthode proportionnelle. Les voix de M. Gauche, qui n’auront pas suffi à le faire élire, auront donc permis l’élection, à la proportionnelle, de quelques collègues PS présents sur la liste départementale. Evidemment, M. Gauche n’a pas le droit de figurer sur cette liste; il a dû choisir entre le scrutin majoritaire et le scrutin de liste. Mais en perdant, il a en quelque sorte subventionné ses copains de la liste.

Mme Rien n’étant affiliée à aucune liste, ses voix sont totalement perdues. Car l’accès au tour à la proportionnelle est réservé aux listes qui ont sponsorisé des candidats dans les cantons.

Une micro-proportionnelle qui cache la forêt

Les petits partis, incapables d’arriver premier le jour du vote face à Mme Droite ou M. Gauche, devront donc se disputer les 20% de sièges distribués à la proportionnelle. C’est très peu. Dans la plupart des cas, les deux premiers partis, le PS et l’UMP, rafleront la majorité des sièges distribués au rattrapage. Dans les simulations présentées dans l’étude d’impact du Sénat, il ne resterait qu’un seul siège par département pour les listes hors PS et UMP, soit quatre ou cinq au niveau d’une région. Avec cette réforme, Europe Ecologie, par exemple, aurait quasiment été forcé de s’allier au PS pour survivre.

«Le scrutin mixte est un leurre, pour ne pas dire un attrape-nigauds, déplore Hervé Maurey, sénateur centriste de l’Eure. C’est pas mixte du tout. C’est dans la logique de création de l’UMP. Le gouvernement a en tête de généraliser le scrutin à un tour pour aller vers le bipartisme, on commence à mettre le doigt dedans pour l’instaurer aux législatives ensuite. Et pour faire passer la pilule, on met une dosette de proportionnelle.»

Prime à l’union, prime à l’UMP

Car la prime va aux candidats qui pèsent le plus lourd et arrivent d’habitude en tête au premier tour. Avantage à la droite: ceux qui rassembleront sur leur nom à la fois l’UMP, le Nouveau Centre, le MPF et les autres ont plus de chances d’obtenir plus de suffrages que le candidat qui ne représenterait que le PS. La gauche, aujourd’hui divisée entre socialistes, verts, communistes et d’autres, est en retard sur le Mouvement populaire. C’est au deuxième tour que la pluralité de la gauche lui assure la victoire.

Les élections régionales de dimanche ont certes marqué une défaite nationale de la droite. Mais dans des scrutins uninominaux, et non par liste, des candidats UMP auraient vraisemblablement eu de meilleurs résultats canton par canton, ne serait-ce que dans les régions où l’UMP reste majoritaire.

Avec le nouveau mode d’élection, la majorité présidentielle aurait ainsi remporté 8 régions: partout où elle est arrivée en tête dimanche soir (Ile-de-France, Centre, Provence Alpes Côte d’Azur, Rhône-Alpes, Franche-Comté, Champagne-Ardennes, Alsace, Guyane).

Sénateurs horrifiés

A la présentation de ce projet, à l’automne dernier, les sénateurs ont fait barrage de leur corps. Horrifiés, même à droite, ils ont enterré le projet avant sa discussion. Chacun pour ses raisons. Le président du Sénat, Gérard Larcher, avoue qu’«il n’y a pas de majorité pour le voter». Le président du groupe UMP, Gérard Longuet, estime que le scrutin à un tour, à la britannique, n’est pas dans la tradition française. D’autres UMP ne veulent pas de la proportionnelle. La gauche rappelle que la parité, désormais constitutionnelle, ne serait pas respectée. Et le Nouveau Centre de critiquer la trop faible dose de proportionnelle.

L’affaire a aussi agité du monde chez les constitutionnalistes. Une note interne au Conseil d’Etat, fuitée à l’automne, met en cause «l’égalité et la sincérité du suffrage», puisqu’une même voix aurait une valeur différente selon qu’elle est comptée dans le scrutin majoritaire ou proportionnel. «Tout scrutin uninominal à un tour est contraire à la Constitution», a par ailleurs annoncé le professeur de droit constitutionnel Guy Carcassonne.

Ces nombreux obstacles juridiques et politiques n’ont pas découragé l’UMP, qui a poussé ce mode d’élection autrefois proposé par Léon Blum, en 1926. «Vous aimez les socialistes quand ils sont morts!», a rétorqué un député (PS) à l’Assemblée, alors que le secrétaire d’Etat Alain Marleix, faisait le malin en citant Blum. Marleix, qui reconnaît les circonscriptions électorales de France quand il les survole (archive payante et exceptionnelle), est également chargé des investitures à l’UMP. Son affaire, c’est les lois sur mesure qui tombent toujours bien en arrangeant l’UMP. Son redécoupage des circonscriptions législatives est un chef-d’œuvre.

Le sénateur UMP Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la réforme territoriale, reconnaît en creux cette manipulation: «Moi je dis: méfiez-vous, car on n’a aucune idée de ce que sera la situation politique en 2014, qui sera président de la République, comment seront composées l’Assemblée et le Sénat…» En clair: le gouvernement et l’UMP poussent aujourd’hui pour ce mode d’élection car ils escomptent qu’il leur bénéficiera.

Nouvel appétit

Le scrutin à un seul tour semblait mort jusqu’à dimanche, mais personne ne sait comment seront élus les futurs conseillers territoriaux, en 2014. Le projet de loi ne sera pas examiné au Sénat avant l’été. Vu la panique, Jean-François Copé et Gérard Longuet ont créé en février un groupe de travail chargé de trouver une idée, en étudiant ce qui se fait ailleurs. L’un de ses co-présidents, le sénateur Jean-Patrick Courtois, a appris par la presse sa nomination. Les membres ne sont pas nommés et aucun calendrier n’existe. Prière de ne plus bouger avant la fin des élections régionales.

«C’est la quadrature du cercle», reconnaît Hervé Maurey, sénateur centriste. «Il faut prendre en compte la situation démographique, la parité, la représentation pluraliste et la notion de territoires. En plus, il faut un mode de scrutin qui permette de dégager une majorité claire. Une fois qu’on a dit ça, il n’y a sans doute aucun mode de scrutin qui remplit tous ces critères… Mon sentiment, c’est que ça va se terminer par un bon vieux uninominal à deux tours.»

La terrible déconvenue du 14 mars semble pourtant avoir redonné de l’appétit à Nicolas Sarkozy. Preuve en est le communiqué d’Alain Marleix, quelques heures après la défaite de dimanche: «Il est indispensable de réformer le mode de scrutin et de mettre en place des modalités d’élection permettant aux Français de voter pour un conseiller régional ancré sur un territoire déterminé, qu’ils puissent enfin identifier.»

On ne peut être plus clair.

Ivan Couronne

* La réforme territoriale compte quatre textes, déposés en octobre 2009 et dont un seul a pour l’instant été adopté: la loi sur la concomitance du renouvellement des conseillers généraux et régionaux en 2014 (adoptée), la loi sur les collectivités territoriales (en cours), la loi organique sur le conseiller territorial, et la loi sur le mode d’élection de ces conseillers.

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